A true friend is someone who sees the pain in your eyes while everyone else believes the smile on your face. ↠ Isaac

A true friend is someone who sees the pain in your eyes
while everyone else believes the smile on your face.

Dès qu'il avait eu l'occasion de le faire, James avait rendu visite à Anna au moins une fois par semaine. Pas facile au départ avec la police qui lui tournait autour, les suspicions et la tension. Heureusement que les parents de la belle ne l'avaient jamais soupçonné, lui permettant ainsi d'assister à la cérémonie tout en y ajoutant ses souhaits comme tout bon mari aurait dû le faire. Et ils avaient fait quelque chose de très beau. Sobre mais beau, tout comme elle. Plus personne ne venait la voir depuis, personne à part lui... C'était triste mais il pouvait le comprendre, il n'est pas facile de voir cette pierre sans âme en se disant que la personne qui repose dessus ne reviendra plus jamais. C'était un paradoxe énorme de voir cette grande pierre froide comparée à la beauté ensoleillée d'Anna et à son énergie contagieuse... Mais ça faisait du bien à James en un sens. Ou peut-être pas ? Qu'importe, ses visites étaient importantes pour lui, trop pour qu'il ne les manque.

« J'ai vraiment cru que je ne pourrais pas le sauver quand il m'a appelé. » Expliqua-t-il, installé en tailleur devant la tombe, les fleurs fraîches qu'il avait apporté déjà posée délicatement dessus. « Une chute de trois étages tu te rends compte ? » Continua-t-il avec le même enthousiasme que s'il la voyait réellement. Et c'était le cas, il arrivait toujours à la voir quand il se concentrait, adossée à la grosse pierre, souriante mais silencieuse. « D'après son maître il était totalement catatonique alors je ne donnais pas cher de lui mais je ne pouvais pas refuser de l'ausculter. » Reprit-il en secouant doucement la tête. Raconter ses aventures avait toujours été une habitude entre eux, même quand elle était encore en vie. « Quand ils sont arrivé, le chaton était effectivement totalement paralysé de terreur mais, après tous les examens, il s'est avéré qu'il ne s'était cassé que la patte. Aucune hémorragie interne, pas de traumatisme crânien, rien ! Un vrai miracle ! » S'exclama-t-il, encore émerveillé par ce cas incroyable qui datait pourtant d'il y a quelques jours déjà. « Des fois... Des fois je me demande comment les choses se seraient passées si j'avais été un chat... » Il avait soudain changé d'air, devenant sérieux et nostalgique. Une réelle question venue du plus profond de son âme. « Tu sais si... Si j'avais été capable de retomber sur mes pattes moi aussi sans... Sans tous les traumas et juste.... Juste je sais pas, avec un bras cassé ? » Il eu un petit rire soupiré, presque nerveux voire désespéré puis il secoua à nouveau la tête. « Non pas que ta mort soit comparable à une chute de trois étages mais... Je sais pas.... On dirait que tout est plus simple quand on est un chat... » Soupira-t-il, relevant les yeux vers le fantôme qu'il voyait presque aussi clairement que le jour. « Il n'y a qu'à voir Moïse, il avait la belle vie... »

Sourit-il à nouveau avec un haussement d'épaules, désespéré par ses propre pensées. Puis il y eu un petit craquement qui fit lever les yeux à Anna. Projection de ses propres sens encore troublés par ce moment... C'était toujours pareil, il était presque en transe quand il était ici, comme s'il n'était qu'une projection astrale de lui-même. L'image d'Anna se dissipa alors que la vétérinaire se réveillait enfin, tournant doucement la tête pour chercher la source de ce subtile bruit qui devait sûrement annoncer l'arrivée de quelqu'un. Une silhouette familière d'ailleurs, à quelques mètres de là, marchant en silence comme lui l'avait fait un peu plus tôt. Au départ, ils s'étaient amusé à dire qu'ils n'étaient que "les mecs de la tombe d'à côté" mais, avec le temps, ils étaient devenus des amis. Deux âmes perdues dans les ténèbres que leurs épouses avaient rapproché ? Signe du destin ? Peut-être pas. Quoi qu'il en soit James se releva agilement avant de poser une main sur la tomber de sa bien aimée en guise d'au revoir silencieux. Il rejoignit ensuite Isaac qui s'approchait de la sortie du cimetière.

« Toi aussi tu as dérogé au planning aujourd'hui ? » Sourit-il, toujours aussi doué quand il s'agissait d'avoir l'air sympathique et parfaitement heureux. « Tout va bien ? »

Reprit-il, sincèrement inquiet pour le jeune homme qui traversait les mêmes zones d'ombre que lui... Après tout, ils ne venaient pas souvent le Mardi, peut-être que quelque chose s'était passé ? Une décision importante à prendre ? Un changement radical ? James ne pourrait jamais faire quoi que ce soit sans l'aval silencieux d'Anna. Une nouvelle rencontre, un changement, une idée... Il fallait qu'il lui en parle même si c'était inutile d'un point de vue extérieur. La jeune femme avait été son univers pendant des années, impossible de l'en exclure aussi facilement, jamais...

« Je... Je comptais prendre un café au Tim Horton en passant, ça te tente ? »

Il était encore tôt après tout et son rendez-vous chez le psy n'était pas pour tout de suite... Fichue journée off qui le rendait dingue... Et dire que le médecin pensait que c'était bénéfique ! Vital même avait-elle ajouté un jour... Beau mensonge ça aussi ! Mais, au moins, il avait son ami et c'était une bonne chose. Sans cela ils avaient peu de temps pour se voir entre le planning du jeune mannequin et la clinique... Comme quoi, il n'y a vraiment jamais un tant pis sans un tant mieux.

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Isaac, depuis des années, venait rendre visite à sa femme toutes les semaines au minimum. Mais il aimait venir pour lui parler de sa journée, de ses sentiments. C'était fondamentalement plus facile de parler de ça avec elle. Il n'y avait ni jugement, ni répercussions, même de son vivant sa femme était la meilleure amie qui soit.

Dernièrement il était venu plus souvent... le mardi n'était même pas un jour où il venait habituellement. Mais il était tiraillé à cause de se qu'il ressentait et il avait besoin de venir lui en parler. C'était terrible comme sentiment...
Cela faisait des années qu'il était veuf, des années qu'elle n'était plus, mais le brun avait toujours l'horrible sensation de briser ses promesses envers sa femme. "Pour le meilleur et pour le pire, dans la santé et la maladie, la richesse et la pauvreté, jusqu'à ce que la mort nous sépare..." mais après tout lui n'était pas mort, lui, vivait toujours pour lui-même et pour sa défunte. Elle vivait travers lui. Il n'arrivait pas à se résoudre à avancer, à prendre conscience que la mort les avait séparés et qu'il avait le droit de retomber amoureux.

Qu'est ce qu'elle lui aurait dit à ce moment là ? Elle lui aurait certainement dit d'arrêter de se poser toutes ses questions, qu'il avait le droit de refaire sa vie. Qu'elle continuera de vivre dans son cœur, sans pour autant qu'il doive arrêter de chercher l'amour...
Isaac savait que peu de personnes pouvaient comprendre ce sentiment de culpabilité qui le prenait aux tripes et l'avait toujours poussé à ne plus jamais donner suite dans ses relations passés.
Mais cette fois c'était différent, et il avait beau se voiler la face, il n’était pas totalement dupe non plus. Il savait très bien ce qu'il avait ressenti, exactement comme la première fois qu'il avait posé les yeux sur elle. Et c'était une chute vertigineuse qui lui faisait très peur. «... Je t'aime. À très vite. Tes conseils me manquent.» Il lui disait toujours qu'il l'aimait avant de partir, peut-être un signe de culpabilité à nouveau, pour faire passer l'affreuse sensation de ne pas le lui avoir dit assez de son vivant. C'est toujours comme ça que ça se passe... C'est quand on perd la personne qu'on réalise son importance et tout ce qu'on a pas bien fait, pas assez fait, pas prit le temps de faire. Et ça nous ronge. Isaac en savait quelque chose, il était le premier à ressentir ça.

Il se déplace alors silencieusement vers la sortie du cimetière. Il avait aperçu James mais il avait décidé qu'il l'attendrait à la sortie, histoire de lui laisser le temps de finir sa conversation avec sa femme. Il respectait énormément les besoins de son ami car il pouvait les comprendre parfaitement. De "mec de la tombe d'à côté" à amis... C'était un tournant que ni l'un ni l'autre avait vu venir, mais qui était une très belle surprise. Isaac avait trouvé en James une magnifique personne à qui la vie n'avait pas fait de cadeau, comme lui. Et se serrer les coudes entre personnes ayant beaucoup souffert ne peut que permettre de remonter la pente plus fort. Quand James l'interpelle il lui sourit.

«Salut toi ! Oui, c'est une période plus tranquille en ce moment alors j'en profite. Mais je vois que toi aussi, alors ça me fait plaisir.» Il passe son bras autour des épaules de James pour qu'ils finissent de sortir de là. «Et oui tout va bien, et toi ? Tu sais quoi j'adorerais boire un café avec toi, j'ai pas mal de temps devant moi en plus alors profitons-en.»
                                                                                               

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Rares étaient les personnes à connaître cette petite habitude et celles à pouvoir la comprendre se comptaient sûrement sur les doigts d'une seule main. Venir ici pour demander conseil, pour chercher du réconfort ou simplement pour discuter un peu pouvait clairement paraître fou mais c'était vital pour le jeune vétérinaire et pour son ami aussi. Parfois, James se demandait d'ailleurs comment il avait fait avant Anna. À qui parlait-il de ses doutes ? En avait-il seulement ? Non, il était jeune à l'époque, inconscient des réalités de la vie, perdu dans sa petite bulle de fourrure... Anna l'avait ouvert au monde, lui avait fait découvrir la vie puis elle était partie, le laissant à la dérive dans une mer bien trop agitée pour lui qui avait à peine commencé à apprendre à nager.

Heureusement, dans cet océan déchainé, alors qu'il s'accrochait comme il le pouvait à la tombe qui lui servait de bouée, il avait rencontré Isaac. Un ami de plus pour l'aider à ne pas sombrer, une autre âme à la dérive avec qui patauger jusqu'à la terre ferme ou, au moins, jusqu'à un rocher. Car James n'espérait plus la terre ferme en réalité, il n'espérait qu'un semblant de stabilité pour pouvoir finir sa mission avant d'enfin pouvoir arrêter le combat. Un combat oui, une survie pénible même si le travail lui permettait de passer outre un peu plus facilement. Ça et le souvenir de sa bien aimée, ça et la certitude qu'elle n'aurait pas voulu qu'il se laisse mourir. Anna était un rayon de soleil, une optimiste instoppable qui aimait la vie et qui respirait le bonheur, elle serait capable de le tuer encore si jamais il la rejoignait de l'autre côté trop tôt.

Mais vivre sans elle était difficile. Trop pour que le jeune homme s'imagine y arriver très longtemps. Une chance qu'Isaac soit là aujourd'hui, cela allait lui éviter le coup de blues post-visite qu'il se prenait toujours. Ce moment de profonde tristesse, cette réalisation atroce de sa solitude, ce gouffre dans son coeur qui devenait soudain plus hardent. Il avait besoin d'elle, encore naïvement persuadé qu'aucune autre ne pouvait prendre sa place. Pourtant certaines clientes avaient lancé des perches à l'occasion. Perches que James n'avait même pas vues et qu'il avait donc presque brutalement ignoré... Mais au moins il ne donnait pas de faux espoir, ce n'était pas le but.

« Il faut croire que les grands esprits se rencontrent. » Sourit-il, étonnamment capable d'avoir l'air serein malgré tout. Il l'était remarque car il était sincèrement heureux de voir son ami. « Comme une journée off ! » Soupira-t-il avec un haussement d'épaules. Isaac savait à quel point ces jours étaient pénibles pour lui mais James tentait de le prendre à la légère malgré tout, il fallait bien vivre non ? « Ça me fait plaisir ! » Affirma-t-il avec sincérité en tapant amicalement dans le dos du mannequin. « Si tu préfères on peut aller ailleurs mais j'aime bien passer là, c'était le café préféré d'Anna. »

Elle se moquait de lui et de son patriotisme mais la jeune femme était une fan incontestée de cette chaine toute aussi clichée que le hockey sur glace finalement. Et les deux amants se titillaient toujours là dessus, à savoir qui était le plus chauvin des deux, à se moquer des goûts de l'autre tout en les appréciant aussi au fond. En fait, ils étaient comme deux enfants, se chamaillant souvent et adorant chercher à pousser l'autre à bout. Un amour pur et sincère qu'il ne pensait plus pouvoir trouver et qu'il ne cherchait même pas en fait. Qui pourrait arriver à la hauteur d'Anna de toute façon ? Et qui voudrait de lui à présent ? Car il n'était déjà pas grand-chose avant, trop étrange, trop décalé... Personne ne pouvait le supporter, surtout maintenant qu'il n'était vraiment plus rien d'autre qu'une loque.

« Et ils ont des donuts à tomber. »

Ajouta-t-il quand même, le regard pétillant d'une étrange nostalgie. Il se souvenait du sourire de sa femme quand il lui en rapportait ou quand ils passaient dans un Hortons. Il se souvenait de ses lèvres pleines de chocolat ou des batailles de sucre glace qu'ils pouvaient faire parfois. Que de bons souvenirs... Ils avaient été si heureux.

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Isaac avant de partir avait évidemment déposé une nouvelle peluche sur la tombe de sa petite fille. Parfois la vie pouvait être très très injuste. Et Isaac pendant des mois s'en voulait presque d'être en vie après la perte de celles qu'il aimait plus que tout. Et même s'il n'avait pu serrer sa fille dans ses bras qu'après sa mort, Isaac avait ressenti la même douleur que s'il avait perdu un enfant qu'il avait connu.

Alors quand Isaac était devenu ami avec James, il avait tout de suite compris les sentiments qui traversaient le jeune homme. Car lui-même avait été dans cet état il y a des années. Et encore aujourd'hui parfois c'est dur. Et ça le sera sûrement jusqu'à sa mort. C'est pourquoi il s'était tout de suite senti très proche du beau brun, il comprenait sa détresse. De plus James se trouvait dans la pire situation, on lui avait enlevé sa femme injustement, comme Isaac avait perdu sa femme enceinte de manière injuste. Isaac connaissait la culpabilité qui rongeait certainement le jeune vétérinaire, il savait que chaque jour était plus dur que le précédent, parce que dans le but de se reconstruire son esprit était certainement en train de lui faire remarquer toutes les habitudes qu'il avait avec sa femme et qu'il devait maintenant faire seul.
C'était sûrement cela le plus dur. Être hanté par son propre esprit. Alors quand James se confiait et lui disait ce qu'il vivait, Isaac le comprenait. Et en même temps il pouvait le rassurer, car le temps faisait vraiment son travail...

Malgré tout s'il était toujours là aujourd'hui, c'est pour une bonne raison. Certes le manque et la plus grosse motivation, mais l'autre est la culpabilité. Et Isaac savait qu'il devait être là pour son ami, car avec le temps, isaac avait commencé à oublier, le son de sa voix, les détails de son visage, la douceur de sa peau, les nuances de son attitude. Tout devenait de plus en plus fl0ou et ça l'avait beaucoup rongé quand il s'en était rendu compte et il ne voulait pas que James traverse cela tout seul quand le moment viendra. Isaac sera là.

Alors quand son ami lui propose de se rendre dans le café préféré de sa femme. Isaac s'en réjouit, il sait très bien qu'ils essayaient de les faire revivre par tout les moyens, ou du moins de raviver les souvenirs.
«Ça me ferait très plaisir ! Je suis sûr qu'Anna avait très bon goût.» Il sourit et emboîte le pas. «Bon les donuts c'est pas très bon pour ma ligne, mais tu auras qu'à prétendre que tu m'as pas vu. Comme on dit pas vu pas pris.» Il sourit. Heureux de rendre un peu de légèreté dans le cœur de son ami.
                                                                                               

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Revenir dans les endroits préférés d'Anna était à la fois rassurant et difficile. Un peu comme une mauvaise habitude qu'on tente d'oublier mais qui nous manque trop, comme un fumeur en besoin de cigarette conscient que ses poumons ne pouvaient qu'en souffrir. Seulement c'était un moyen pour lui de se sentir proche d'elle, d'avoir l'impression que son monde n'avait pas trop changé. Illusion bien sûr car rien ne pourrait lui faire oublier le gouffre purulent qui handicapait son cœur épuisé.

« Elle était avec moi alors rien n'est moins sûr ! »

S'amusa le vétérinaire alors que son ami affirmait croire au bon goût d'Anna. Or, hormis cette faute là, la belle avait toujours eu très bon goût, aussi bien en nourriture que dans les autres aspects de sa vie. C'est d'ailleurs elle qui avait décoré leur maison à l'époque, elle qui préparait les meilleurs plats et les meilleurs cocktails aussi, elle qui savait gérer leur vie mieux que quiconque et qui avait donc laissé le pauvre jeune homme à la dérive, perdu dans un océan de regrets dans lequel il se noyait doucement mais sûrement.

« On va dire ça oui ! » Sourit-il en secouant doucement la tête. Même s'il comprenait son ami, il serait bien incapable de s'imposer autant de discipline. « Ou alors on peut profiter de la journée pour passer à la salle ? Ou simplement pour aller courir un peu ? »

James avait été plus sportif quand Anna était en vie, suivant l'entrainement rigoureux qu'elle s'imposait pour être au point dans les forces de l'ordre. Depuis, le vétérinaire ne s'accordait pas autant de temps pour s'occuper de lui même s'il appréciait passer à la salle afin de donner quelques coups bien sentis dans un punching ball à l'occasion ou s'il lui arrivait de courir seul dans la rue en plein milieu du insomnie dans l'espoir de calmer son esprit. L'idée de faire un peu de sport avec le mannequin n'était donc sincèrement pas déplaisante et pourrait même être un excellent moteur.

« Avoir quelqu'un pour me foutre des coups de pieds aux fesses ne me fera pas de mal. »

Ajouta-t-il avec un air légèrement coupable et un petit haussement d'épaules. Anna avait été son moteur, sa raison de faire autre chose que son travail, son étoile pour le guider dans la nuit. Maintenant qu'il était seul, le vétérinaire survivait à peine et son aspect asocial se faisait plus présent. Anna n'aurait pas aimé ça, pour elle, pour sa mémoire, il devait faire un effort, aussi coûteux qu'il puisse l'être. D'ailleurs, si c'était avec un ami, ce serait vraiment plus simple et Isaac ne pourrait sûrement que le croire et le comprendre. Quelle chance il avait d'être tombé sur lui.

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Isaac ne savait jamais vraiment comment se sentir face à son deuil, il avait parfois l'impression qu'il paraissait trop insensible aux yeux des autres, mais parfois il avait la sensation qu'il aurait du faire son deuil bien plus vite qu'il ne l'a fait et c'est terrifiant.
Isaac a toujours fait croire que le regard des autres importait peu, et dans la majorité des cas c'était vrai, mais quand il a tout perdu du jour au lendemain, il s'est mis à remarquer les regards, les chuchotements. Une pression et un gouffre sans fin. Il n'arrivait pas à s'approprier son deuil, il ressentait la pression de devoir vivre les choses comme les autres le percevaient.

Mais si on lui posait la question, "as-tu fais ton deuil ?" Isaac serait incapable de répondre "oui". Aujourd'hui encore, après des années de deuil, la blessure est toujours là, et il s'est résigné. Il sera certainement en deuil toute sa vie et ce n'est pas une fatalité. Le deuil, pour lui, n'a pas une mauvaise connotation, au contraire, pour lui ça veut dire qu'il n'oublie pas la femme qu'il a aimé et leurs souvenirs, et qu'elle continuera à vivre à travers lui.

Il aurait pu faire comme beaucoup de personnes et passer à autre chose, ne plus venir au cimetière qu'une fois par an, histoire de dire. Mais ce n'est pas dans son tempérament, il ne peut pas se résoudre à ignorer l'influence de sa défunte femme dans sa vie, il ressent le besoin de venir chaque semaine, de lui parler, de lui poser des questions. Cela fait des années qu'il vient la voir, comme si elle était toujours en vie, il mange avec elle, lui parle de leurs ami.e.s, d'Alice qui grandit à vu d’œil.  

Donc il comprend vraiment ce que peut ressentir James, il comprend la douleur et le manque de motivation. Il sait aussi que la ligne est fine entre vivre pour l'autre et son souvenir, et juste survivre pour ne pas décevoir leur mémoire. Il sait aussi qu'une vie passée à survivre n'en est pas une.  

Il se tourne vers lui et acquiesce, son activité professionnelle et sportive, l'ont beaucoup aidé à reprendre sa vie en main à l'époque, et il sait que sans les nombreux coups de pieds aux fesses de Charlotte, il n'en serait pas là. Alors l'idée d'accompagner son ami et de le motiver, il n'y a rien de mieux pour lui.
«Ça peut être une très bonne idée, courir ça nous permettrait d'évacuer un peu, et de papoter pendant les étirements. Et si on en ressent le besoin on pourra toujours faire un tour à la salle.» Il lui sourit.
«D'ailleurs tu sais que si tu as envie on pourrait se fixer un rendez-vous par semaine, pour faire du sport ensemble, histoire de se booster ?»
                                                                                               

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La psy lui disait toujours qu'il était important qu'il ne se ferme pas au monde extérieur, qu'il devait accepter les mains tendues autour de lui, l'aide et l'amour de ses proches qui ne voulaient que son bien et qui ne pouvaient que l'aider à aller mieux. Plus facile à dire qu'à faire néanmoins, surtout maintenant qu'il avait cette peur viscérale de perdre ceux qu'il aime de façon aussi abrupte qu'il n'avait perdu Anna. La joie des traumatismes et d'un subconscient trop fainéant pour aider le conscient... Mais il était plus facile d'accepter l'aide d'Isaac peut-être justement car il avait vécu la même chose et parce qu'il traversait lui-aussi un traumatisme fort similaire. Après tout, ils ne pouvaient que se serrer les coudes non ?

« Avec ce beau temps, autant commencer par une petite course oui ! Mais un café d'abord sinon je vais finir sur les rotules avant même d'avoir fait deux cent mètres ! »

S'amusa-t-il alors qu'ils se dirigeaient vers le fameux café où James était connu comme le loup blanc. La jeune femme à la caisse le salua effectivement avec un beau sourire, notant déjà son nom sur l'immense tasse en carton dont elle s'était promptement emparée. Y avait-il un peu d'espoir dans le regard de la belle ? Peut-être oui mais James était insensible à tout et il l'avait toujours été en réalité.

« C'est rare de te voir un mardi ! La même chose que d'habitude ? »

Sourit-elle avec enthousiasme, jetant un regard timide à Isaac qu'elle semblait avoir reconnu aussi bien que ce soit pour une toute autre raison. Elle n'en dit rien, tentant de se concentrer sur son habituée qui ne tarda pas à répondre.

« S'il te plait oui, quel est le donut à l'honneur cette fois ? »

« Aujourd'hui c'est le Sea Salted Caramel Dream. »

« Parfait, je vais prendre ça alors ! » Sourit-il en lui tendant sa carte de fidélité ainsi qu'un billet couvrant les deux commandes très largement. « Ça fera aussi pour mon ami et tu pourras garder le reste. »

Affirma-t-il, la surprenant un peu bien qu'il laisse toujours un pourboire sympathique. Elle se contenta d'ailleurs de lui sourire avec un timide signe de la tête avant de prendre la commande d'Isaac. Une fois leur plateau prêt, les deux hommes s'installèrent à une table et James prit une grande gorgée de sa boisson.

« Et pour en revenir à ton idée, c'est un peu compliqué pour moi comme je vis un peu en fonction des urgences du cabinet... Mais oui, on peut tenter de se fixer un moment, même juste une petite demi-heure histoire de se bouger un peu ! Plutôt le soir je pense ? En sachant qu'il y a une salle près de chez moi donc au pire je pourrai toujours revenir si jamais. Ou juste courir dans le quartier pour commencer ? Comme les beaux jours vont commencer à revenir ça sera agréable non ? »

Comme souvent, James semblait enthousiaste et heureux de vivre, presque normal en réalité. Douce illusion bien sûr et seuls ses proches savaient ce que ce sourire cachait vraiment. Mais il faisait bonne figure et ça lui évitait d'attirer trop de questions ou de sympathie non désirée. James ne voulait pas de la pitié des autres, il ne voulait pas être le centre d'attention et encore moins pour cette raison.

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Isaac avait fini par prendre conscience que rien au monde ne pourrait lui faire oublier sa femme et la vie qui lui avait été volée. Et aujourd'hui il en était plutôt content. Pendant des années il voulait juste tout effacer, personne ne pouvait parler de l'accident, du deuil, personne... si personne n'en parlait, cela ne pouvait pas être réel pas vrai ?... Heureusement pour sa santé mentale il avait finit par comprendre que la vie ne marchait pas comme ça. Alors aujourd'hui certaines personnes avaient le droit de parler d'elle. Et il ne savait pas pourquoi, ça ne lui avait jamais posé de problème avec James, peut-être parce qu'il pouvait comprendre sa douleur. Ils étaient tous les deux marqués à vie par un traumatisme, et Isaac pouvait parier que James souffrait lui aussi de la peur de l'abandon aujourd'hui. Et le seul moyen qu'Isaac avait trouvé pour y remédier c'était en créant autour de lui des routines et en se rattachant à ceux qu'il aime au lieu de s'en éloigner, même si ça avait été dur au début. Grâce à cela, il arrivait à ne pas se laisser aller aux remords et aux regrets.

Isaac avait déjà remarqué que certaines personnes, hommes ou femmes, regardaient son ami avec intérêt, mais que lui ne semblait pas du tout le leur rendre. Et au fond ça le faisait sourire, car il a longtemps était dans la même situation, au point ou sa meilleure amie devenait folle tellement il portait des œillères et qu'il ne voyait pas que beaucoup de personnes avaient un petit faible pour lui. Mais Isaac ne fera pas de remarque là-dessus à James. Il sait très bien qu'il serait mal à l'aise, et puis il sait aussi, pour avoir été dans sa situation, qu'à l'heure actuelle personne au monde ne l’intéressera. Il est aussi persuadé que James vit encore trop avec le fantôme de sa femme, pour donner son cœur et son temps à une autre personne. Au fond Isaac ne sait même pas si un jour James aura la force de laisser aller son cœur à nouveau. Et ça en revient à ce qu'il pensait juste avant, James souffre probablement de la même peur que lui, perdre ceux qu'il aime.

Il s'assoit face à lu et sirote son thé, pas aussi bon que le sien, mais pas mal.
«Oui je me doute que des fois on va avoir des problèmes d'emploi du temps, toi comme moi. Mais je trouve que c'est une bonne idée, et puis je préfère courir avec un ami, ça me permet d'éviter d'être reconnu.»
Il pousse un petit sourire en repensant à la dernière fois qu'il a osé faire un jogging seul au parc.

Il goûte finalement au donut et il comprend immédiatement pourquoi c'était l'endroit préféré de sa défunte femme. C'est excellent, Isaac écarquille les yeux, il se régale littéralement. Il remarque tout de même le faux sourire de son ami, alors il décide de se confier, dans l'espoir que son ami se sente assez à l'aise pour faire de même. Parce qu'Isaac sait qu'il n'y a rien de pire que quelqu'un qui te regarde avec pitié, ou juste d'un air désolé quand tu n'en as pas besoin. Mais il sait qu'il aurait aimé parler de certaines choses, s'il n'avait tellement eu peur d'être incompris.
«C'est vrai, les beaux jours arrivent. Le changement de saison c'est toujours une période difficile, je sais pas pourquoi. C'est sûrement inconscient... c'est d'ailleurs un peu à cause de ça que je suis venu aujourd'hui. Mais je suis surtout venu car j'ai rêvé d'elle hier. Ça peut paraître bizarre mais c'était comme dans un film, on dansait dehors, sous la lumière des étoiles et de la pleine lune. Et quand je me suis réveillé j'avais cette sensation bizarre, comme si on m'avait arraché à la réalité, à un souvenir.»
Il boit une gorgée. «Du coup je suis venu pour lui parler. Et je vois bien que ça pas l'air d'aller fort de ton côté. Donc si tu as besoin de parler, ici y'a pas de tabou ou de jugement.»
                                                                                               

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James aussi était reconnu à son échelle : le gentil vétérinaire du coin -ce qu'il appréciait-, le jeune veuf -ce qu'il détestait- ou, pire encore, celui qui a été accusé du meurtre de sa femme... Heureusement quand même que peu de personnes étaient au courant de ce dernier détail le concernant ce qui aurait grandement freiné son cabinet sans doute même s'il avait été clairement prouvé qu'il était innocent bien que le réel coupable courre toujours... Un suicide oui, pathétique conclusion pour taire l'évidence et pour ne pas chercher plus loin, quelle bande de lâches. Mais il préférait ne pas y penser, pas aujourd'hui, pas avec son ami.

« Serais-tu entrain de sous-entendre que j'arrive à te faire de l'ombre ? »

Le taquina-t-il même si la remarque d'Isaac était vraie. En effet, ils étaient rarement accostés quand ils étaient ensemble mais sûrement plus parce que les gens avaient peur de le déranger avec un ami que parce qu'il ne le reconnaissait pas. D'ailleurs, la jeune serveuse semblait l'avoir reconnu et James pariait qu'elle lui en parlera la prochaine fois, trop timide pour le faire maintenant.

« Pour le coup, je pense que nous ne sommes pas les seuls à être un peu chamboulés par les changements de saison, surtout quand ils sont aussi radicaux qu'ici. »

Sourit-il, sincère. Nombre de ses clients se plaignaient de la chaleur soudaine ou avouaient être fatigués au début de l'hiver. Inconscient ou réaction purement physique, il ne s'était jamais trop posé la question et encore moins maintenant qu'il vivait avec la constante impression d'être une coquille vide, quelle que soit la saison.

« Quant à cette sensation, je sais ce que c'est... Cette impression que notre vraie vie se passe quand on a les yeux fermés, ces souvenirs si vifs qu'on pourrait presque les toucher... Ma psy affirme que ça finit par passer mais j'avoue être bien plus sceptique. » Admit-il sans pour autant que sa voix ne se teigne de trop de tristesse. « Tout ce dont je suis sûr c'est que, tant que on ne les entend pas nous répondre, c'est que ce n'est pas si grave ! » Plaisanta-t-il pour alléger l'atmosphère et pour se secouer un peu. Ne pas replonger, ne pas mettre de sel sur la plaie, ni la sienne ni celle de son ami. « Du coup, ne t'en fais pas, elle ne me répond toujours pas donc ça va et le doc trouve même que j'ai fait des progrès. » Affirma-t-il. C'était vrai visiblement et ce même s'il n'en avait pas vraiment l'impression. « C'est juste... Je suis toujours un peu à l'ouest après lui avoir rendu visite et... Et il y a des moments où elle me manque plus que d'autres mais ce n'est rien de grave ne t'en fais pas. Racontes moi un peu ta vie plutôt ! Qu'elles autres folles aventures as-tu vécues ces derniers temps ? Des voyages de prévus pour des shooting ? »

Reprit-il avec un regain d'enthousiasme toujours aussi sincère. Sa vie était monotone à part pour quelques patients extraordinaires, celle d'Isaac était bien plus palpitante et il s'y intéressait vraiment, pas seulement pour se changer les idées. Chose que son ami savait d'ailleurs puisqu'ils parlaient beaucoup à chaque fois.

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