Grief does not change you, it reveals you. ↠ Ezekiel Cassano

Grief does not change you, it reveals you.

Depuis le décès d’Anna, James s’était isolé des autres. Non seulement car il ne supportait pas de lire de la pitié dans leurs yeux mais aussi car ils lui rappelaient son ancienne vie, ces moments de bonheur qu’il regrettait un peu plus chaque jour, cette autre vie qui lui semblait à la fois si proche et terriblement loin. Malgré ses efforts pour paraître normal, le jeune vétérinaire souffrait atrocement, assez pour ne plus avoir grand espoir quant à la suite de sa vie qu’il ne traversait que pour les animaux et dans l’espoir d’avoir un jour une réponse. Réponse qui ne venait pas même s’il passait plusieurs heures par jour à retourner tout ce qu’il savait dans son esprit, même si celui qu’il considérait comme son petit frère risquait tous les jours sa vie pour l’aider… Chose qui ne l’aidait d’ailleurs qu’à moitié, ajoutant à sa culpabilité une inquiétude indicible qu’Ezekiel ne semblait pas entendre. Mais que pouvait-il lui dire ? Lui aussi voulait des réponses, lui aussi avait le droit de savoir et, d’eux deux, il était clairement le plus apte à les obtenir, quoi que James en pense.
 
Après tout, Ezekiel était dans les forces de l’ordre lui aussi, il avait travaillé avec Anna, elle lui avait donné quelques indications vitales que le jeune agent avait partagé avec James lors des ‘réunions secrètes’ qu’ils organisaient parfois pour discuter de l’affaire. Des moments difficiles pour les deux hommes mais qui avaient fini par devenir vitaux, surtout pour le jeune veuf qui s’y raccrochait énormément. Il avait même transformé la petite pièce supplémentaire de son appartement en salle d’enquête, le grand mur blanc couvert de photos, d’articles de journaux, de notes et de fils rouge. Son psy n’était pas au courant de cette information, peu de personne le savait en fait… Pas parce qu’il avait honte mais simplement parce qu’il ne voulait pas partager ça avec n’importe qui. C’était un peu son ultime connexion avec sa défunte épouse, leur dernier petit secret qu’il ne partageait qu’avec Ezekiel en réalité. Les autres ne pourraient pas comprendre de toute façon, ils le prendraient sûrement pour un fou qu’il n’était pas loin d’être.
 
Mais qu’importe ce que pouvaient penser les gens tant qu’ils lui faisaient confiance pour la santé de leurs animaux. La clinique fonctionnait d’ailleurs à merveille ces derniers temps, si bien même qu’il avait dû demander de l’aide afin de couvrir son jour de congé forcé et même certaines journées trop chargées. Une chance que le local de base ait été aménagé avec trois salles de consultation en plus d’une belle salle opératoire et d’un espace conséquent pour les pensionnaires devant rester avec lui plus longtemps. James avait eu beaucoup de chance à ce niveau, trouvant cette perle rare pile au bon moment et ayant assez d’argent pour se l’offrir. En même temps, à cette époque comme maintenant, il n’avait besoin de rien de plus. Juste pouvoir faire son travail. Juste pouvoir s’occuper des animaux. Juste se couper du monde des humains le plus possible. Ils étaient des monstres et l’avaient poussé à en devenir un à son tour…

Une chance quand même qu'il soit suffisamment bon acteur pour ne pas trop choquer, pour en pas faire trop tâche en société. Certains de ses amis avaient eu le courage d'attendre un peu, de gratter la surface pour voir que l'ancien James était toujours là, tapis dans l'ombre. Ils avaient été assez téméraires pour lui laisser une chance, pour ne pas s'offusquer de la distance ou de la noirceur... Beaucoup espéraient sans doute vainement qu'il revienne à la surface un jour, qu'il tourne enfin la page. Hors il n'y avait pas de page à tourner, c'était la fin de l'histoire. La triste fin. Seules quelques lignes restaient en suspens, les lignes qui guidaient le lecteur au coupable, ultime étape de ce roman qui avait si bien commencé... Une belle histoire d'amour et d'espoir, beaucoup de potentiel puis le drame. De la romance au thriller puis, enfin, la révélation. C'est tout ce que James voulait, tout ce dont il avait besoin pour... Pour rien en fait, il ne parvenait pas à se projeter plus loin et il n'en avait pas envie.

« Désolé je suis à la bourre, j'ai eu une urgence de dernière minute. »

S'excusa-t-il alors qu'il entrait enfin dans le petit café où il avait justement rendez-vous avec l'un de ces rares amis. Non, Ezekiel était bien plus en fait, comme un frère et ce depuis bien avant les drames. À l'école déjà, James l'avait pris sous son aile et ils ne s'étaient plus quitté depuis. Ce qui explique sûrement pourquoi ils étaient encore aussi proches aujourd'hui et pourquoi le jeune vétérinaire ne lui cachait rien. Avec lui, il était en sécurité, il n'avait pas à prétendre que tout allait bien même s'il ne voulait pas le lourder pour autant. Après tout, Ezekiel aussi avait souffert de la disparition d'Anna et il avait d'autres deuils que James ne voulait pas rendre moindre. Alors ils se soutenaient, marchant ensemble dans l'obscurité en espérant s'entraîner un peu vers la lumière. C'est tout ce qu'ils pouvaient faire et jamais ils ne s'abandonneraient.  

« Tu as déjà commandé ? » Demanda-t-il, le souffle encore un peu écourté par la course qu'il avait dû faire pour ne pas arriver trop en retard. « Je sais, je sais, je n'aurais pas dû travailler ce matin... » Reprit-il, levant déjà les yeux au ciel, anticipant la brimade de son ami. C'était vrai, c'était sa journée off mais il vivait sur son lieu de travail alors... « En tous cas j'ai la dalle, j'ai même pas eu le temps de déjeuner ! »

Reprit-il dans l'espoir d'effacer un peu cette partie de la conversation : Il n'était pas raisonnable, il travaillait trop... La psy n'arrêtait pas de le lui dire mais ça ne changeait rien, c'était plus fort que lui et son esprit avait besoin de travailler pour ne pas trop penser. Il n'aurait néanmoins raté ce moment avec son ami pour rien au monde, toujours heureux de pouvoir passer de précieuses heures avec lui. Le programme était pourtant très simple, juste un café et de quoi grignoter avant de passer la journée ensemble à errer et à improviser la suite comme ils le faisaient toujours. Juste profiter, se laisser porter. Une plénitude rare et vitale pour le jeune vétérinaire...

Codage par Libella sur Graphiorum