Le réveil d’aujourd’hui était encore plus pénible que les précédents. Les cauchemars de la nuit ne semblent pas vouloir m’accorder de répit une fois les yeux ouverts, pire encore, ils semblent prendre vie quand je m’éveille : mon départ précipité de l’appartement de Nathan, cette rupture inachevée... Sentiment d’abandon, de petite mort qui prône comme une épée Damoclès au-dessus de ma tête. Diverses émotions négatives et néfastes qui se succèdent, pourtant j’ai l’impression de ne plus savoir ressentir. Mon cœur est pétrifié dans ma poitrine, je ne suis plus qu’une coquille vide dénuée de sentiments. C’est ainsi, à trop tirer sur la corde, elle finit par se briser. Pourtant aucunes larmes depuis les révélations de Ravi, pas le moindre sanglot libérateur... je reste inlassablement sous pression, la gorge nouée et le visage zombifié. Me réveillerais-je un jour de cet état somnambulique ? Peut-être pas. En un sens, ce n’est pas plus mal... ma carapace a évolué, plus rien ne m’atteint et je ne souffre plus. Si on veut... j’ai un trou béant dans la poitrine et le cerveau mal oxygéné à force de ne pas dormir. Mais au moins je ne me torture plus l’esprit... Preuve étant : depuis que j’ai quitté Nathan, mon téléphone est éteint.

J’essaie de cacher les apparences face à Ela et Ravi, de ne pas avoir l’air aussi détruite que je le suis en réalité. Exercice périlleux mais au moins ils ne semblent pas inquiets, je sais tenir une conversation... minime et censurée, certes. Mais c’est mieux que rien non ? Bon, au moins je suis capable de répondre. Aligner deux mots est encore une épreuve, mais c’est suffisant pour ne pas me faire dévisager. Le pire dans ce seuil de chagrin serait de les voir se morfondre, j’ai assez donné dans la demoiselle en détresse. Même si je donne l’apparence d’être un funambule sous cortisone, je travaille sur moi pour ne pas avoir l’air d’un boulet chez les Kapoor : je participe aux tâches ménagères et prépare souvent à manger. Si déjà ils ont eu la gentillesse de m’accueillir chez eux, je ne veux pas laisser ma peine contrecarrer mes bonnes manières. Même si je fais tout ça avec l’allure d’un croque-mort, je le fais réellement de bon cœur ! Si je pouvais faire plus pour leur exprimer ma reconnaissance...

Mais le réveil était encore plus pénible que les précédents : la date du 14 février sur le radio réveil me souhaite le bonjour. Quoi de mieux pour guérir une âme en peine après tout ? L’amour est sur toutes les lèvres et je vais encore devoir les esquiver aujourd’hui. Plus que d’habitude depuis que mon quotidien est devenu aussi froid et gris qu’un livre de George R. R. Martin. D'autant qu’Ela s’est mise en tête d’organiser une soirée entre filles au Brew Brother Pub. Joie bonheur et petit pois... Moi qui ai autant le cœur en fête qu’un rat mort, l’idée de me rendre au Pub et prendre le risque de croiser mon père m’enchante encore moins. Mais je ne voulais pas blesser la belle Indienne, bafouillant un semblant de refus qu’elle a fait semblant de ne pas entendre. Ma parole ne compte pas, je vais devoir trainer ma carcasse dans les bars que ça me plaise ou non... en plus en petit comité ? Déjà que de base j’ai la sociabilité d’une huitre, ma timidité va encore m’handicaper et je vais faire passer une mauvaise soirée à tout le monde. Ela a dû me faire mention de la personne qui nous accompagne, mais je rêvais éveillée quand elle m’en a parlé...

« Je file. Bonne soirée les filles ! Soyez sages ! »

Sournoisement cachée dans la chambre d’Ela, je lève des doigts en forme de “ peace “ dans la direction de la voix de Ravi qui a déjà décampé en claquant la porte. Bonne soirée, bonne soirée... si je me fais assez discrète, Ela oubliera peut-être ma présence et partira sans moi ? Je feuillette avec humeur les pages du magazine de mode prêté par la belle, incapable de me concentrer sur ma lecture. Mes livres me manquent...

« J'ai presque terminé avec la salle de bain, Jam ne va pas tarder ! »

Je lève à peine les yeux vers Ela, la tête dans la main et l’autre qui fait défiler les pages trop vite pour savoir les lires. Elle semble si heureuse et contente de cette soirée, je n’ai pas envie de lui gâcher. Mais je n’arrive pas non plus à faire semblant d’aller bien. Je sais respirer et marcher, mais ça s’arrête là. D’autant qu’elle me parle de Jam... je ne sais même pas qui c’est. Quoi que, celle que je connaît n’est certainement pas la même que celle qui nous accompagne ce soir. Ou peut-être que je me trompe ? Ela semble suffisamment ouverte aux gens pour se faire des amies très vite dans cette petite ville...

« Je suis obligée de venir... ? » je marmonne d’une petite voix en la regardant s’habiller. La belle brune est parfaite dans sa robe toute neuve, je l’envierais presque. Je ne sais pas à quand remonte la dernière fois où je me suis maquillée. Ah si... cette soirée qui a précédé notre agression au club. Un éclair vif me déchire le cœur quand j’y repense, baissant les yeux sur une page dédiée aux manteaux d’hiver les plus tendances. C’est encore trop tôt pour penser librement au passé sans que ça ne dérive vers lui...
La porte sonne et Ela disparaît à nouveau avec beaucoup trop d’énergie pour moi. Je pousse un profond soupire et me frotte les yeux. Je ne suis clairement pas prête, un pantalon de yoga et un t-shirt oversize. Le même que celui que je portais en débarquant ici... coïncidence ? Je ne pense pas... Je me lève avec difficulté et traîne des pieds jusqu’au salon pour saluer l’inconnue qui ne m’est pas si inconnue que ça.  

Tout le monde s’attends à ce que je m’effondre. Que je perde le contrôle de mes larmes et que je finisse par me laisser mourir tel une carcasse exsangue. Tout le monde s’y attends, moi la première. J’aimerais pouvoir pleurer, sangloter bruyamment sous la douche, extérioriser d’une façon et pouvoir enfin me délivrer de ce poids pesant. La peine ne fait que s’accumuler ce qui me... transparente..., comme éteinte. J’ai beau donner le change, faire comme si de rien était, elle est toujours là. Là où se trouvait autrefois mon cœur. Il me manque, mon père et ma mère aussi... j’ai l’impression d’être une tâche grise sur une palette arc-en-ciel, spectatrice de la vie qui continue autour de moi. Les gens sont heureux, ne semblent pas réaliser la détresse dans laquelle je sombre, et c’est mieux comme ça... Je ne voudrais pas empoisonner mes proches avec ma douleur, alors autant faire profil bas. C’est pour ça que je ne comprends pas les motivations d’Ela, trop excitée à l’idée de m’inclure dans son plan entre fille, comme si elle voulait me redonner goût à la vie et aux sorties nocturnes. Sortir pour quoi ? Elle n’a pas choisi le meilleur jour pour m’exposer au monde, voir des gens s’aimer ouvertement risquerait de me faire tourner de l’œil. Et pourtant... je ne peux pas empêcher au monde de tourner. Même si l’idée de me sociabiliser me fait freiner des quatre fers, je culpabilise un peu de décevoir Ela en refusant ouvertement. La petite Indienne est si dynamique et douce qu’il est difficile de lui refuser quoi que ce soit... Mais je suis suicidaire donc je tente quand même de m’opposer à cette soirée qui s’annonce haute en couleur.

« Bien sûr que tu es obligée ! » je ne m’attendais à rien, mais je suis quand même déçue. Je geins en me ratatinant sur moi-même, comme si ses paroles m’avaient blessé au cœur. « Il ne faut pas se laisser abattre puis c'est LA soirée pour faire la fête ! Et, pour tout te dire, je crois que Ravi à un crush sur notre invitée... J'ai bien envie de jouer les cupidons ce soir, elle est tellement chou ! » ne pas se laisser abattre... C’est facile à dire. Je manque de le dire à voix haute, mais me ravise à la dernière minute, bien consciente que me laisser déborder par mes faibles émotions va finir par me rendre acerbe. Vieille aigris à vingt-cinq ans... Par contre sa confidence me laisse un peu perplexe. Plus que perplexe même... une petite douleur se répand dans ma poitrine. Ravi ? Notre Ravi qui a le béguin pour quelqu’un ? Ça semble improbable et en même temps pas tant que ça, mais je suis un peu triste de ne pas avoir été mise au courant par le principal concerné. Ma jalousie se transforme en culpabilité, l’indien voulait certainement me ménager... est-ce une raison pour me mettre à l’écart ? « Choueeeeeette... » je marmonne à la Flynn Rider dans Raiponce, la voix fluette et ironique qui laisser penser que je ne suis pas du tout impliquée dans cette nouvelle idylle. L’air triste, je regarde Ela dans un instant de silence puis esquisse un semblant de sourire qui disparaît au bout de trois secondes. Je ne veux pas avoir l’air cynique, au contraire... je voudrais me réjouir pour eux que leur vie prend une nouvelle tournure alors que la mienne rame indéfiniment. Ils pensent plus à moi qu’à eux en ce moment...  
Alors j’opte pour un sourire d’excuse, sourire qui se fait rare sur mon visage depuis quelques jours. Depuis que j’ai appris la vérité enfaite...  

Ela part à la rencontre de la troisième mousquetaire, me laissant dans la chambre avec mon démon et ma culpabilité. Elle a peut-être raison ? M’investir dans les relations des autres m’aidera peut-être à oublier la mienne, désastreuse ? Je hausse les épaules à cette pensée et me lève pour passer la porte à mon tour. Je ne suis pas très douée pour me faire des amies en général, vue mon état zombique de ce soir ça risque de coincer, je m’en veux d’avance. Mais comme je ne vais pas échapper à mon destin, autant y mettre de la bonne volonté...

« Swan ! Je suis trop contente que ça soit toi la troisième ! » mes sourcils se haussent de sourcil, je n’ai pas le temps de réagir qu’une brune au parfum envoûtant se jette dans mes bras. Je perds un instant l’équilibre mais la réceptionne agilement, un bras autour de ses épaules et l’autre qui retient in extremis le magazine avant qu’il ne tombe à terre. Je lui rend son accolade. « Jamilah ! » je m’étonne même si mon timbre de voix est plutôt las. Je suis très contente de la voir même si ça ne paraît pas sur mon visage, Jam est une des seules filles à Ottawa avec qui ça fusionne, avec Ela dans le lot bien entendu. Coup de foudre amical ni plus ni moins. Bon sang, je suis si différente de la dernière fois où l’on s’est rencontré... encore un peu plus brisée. « C’est elle la crush de Ravi ? » je demande naturellement en me tournant vers Ela. L’état de choc dans lequel je suis depuis plusieurs jours m’a un peu transformée, je suis comme une enfant sans filtres à présent. On me demanderait mes codes de carte bleu que je balancerais tout sans hésiter... En ce qui concerne la potentielle idylle de Ravi et Jam, ça m’étonne mais je ne suis pas mécontente. Jam est une fille bien et rigolote, ça va faire du bien au garçon de se faire tourner un peu en bourrique.

« Je comprends mieux la demande de vêtement… On va te bichonner ! Tu vas bien ? » je fronce les sourcils et recule un peu pour me regarder « Bah quoi ? Il est pas bien mon t-shirt ? » je demande innocemment en tirant un peu dessus. Bon, c’est vrai que je suis moins sexy que les deux brunes face à moi... je dirais même plus : je ne leur arrive pas à la cheville. Ela avec sa nouvelle robe ressemble à une poupée, Jamilah et ses talons hauts semble tout droit sortis d’un James Bond. Bref, je suis vraiment une tâche parmi les étoiles...  

« Ça va mieux maintenant... Merci beaucoup fallait pas ! » je réponds en récupérant le bouquet de bonbons que je commence déjà à grignoter sans attendre « Il faut s’offrir des cadeaux dans ce genre de soirée... ? Je n’ai rien pour vous, je n’y ai pas pensé... » je demande d’un air penaud en gobant un petit ourson en gélatine. C’est vrai quoi ! C’est ma première soirée fille... d’autant que c’est la saint-valentin... ça veut dire qu’elles sont mes valentines ? Dilemme dilemme...  

« Mais avant quoique ce soit… Où est la chambre de ton frère ? J'ai une vengeance à prendre… » je hausse les sourcils en me tournant vers Ela, avalant une autre petite douceur au passage, j’ai loupé un épisode ? C’est quoi toute cette violence d’un coup ? « Encore ?! C'est moi qui la squatte en ce moment mais, si Swan accepte que je dorme dans sa chambre ce soir, je te laisse faire ! » je pose le magazine sur la table à côté d’un beau bouquet de fleur et m’assois sur une des chaises. C’est quoi cette grosse valise que Jam a apporter ? Est-ce qu’elle va nous faire un tour de magie ? « C’est ta chambre Ela.. » je lui rappelle comme si c’était normal que je n’aie pas mon mot à dire « Normalement c’est à moi de squatter le canapé ! » déjà que je m’impose comme un cheveu sur la soupe, je ne vais pas non plus imposer mes règles !  

« Quel est le plan capitaine ? Je peux faire quelque chose ? » Je regarde à tour de rôle Jamilah et Ela, ne sachant où me positionner dans tout ce mic-mac. Je suis un peu de trop dans toute cette pièce de théâtre, au courant de rien et l’esprit un peu morose pour m’imposer dans leur conversation. Mais autant prendre le perche qu’elles me tendent, elles seront trop occupées dans leur plan machiavélique pour s’occuper de moi.  

Aucune occasion de sourire ne s’est présentée à moi depuis le jour où j’ai abandonné Nathan. La vérité c’est que je ne sais plus où j’en suis dans ma vie. Je n’ai rien qui me retiens dans ce monde. Tous les jours je fais semblant que tout va bien, pourquoi ? Parce que je ne veux pas que les gens me demandent ce que j’ai ou viennent me réconforter. Ce qui m’arrache un petit rire, en cette journée que rien ne distingue des autres à mes yeux, c’est la sensation extraordinaire de mon cœur qui semble battre dans ma poitrine. Comme les rouages d’une machine qui n’a pas fonctionné depuis longtemps, il vibre timidement dans ma poitrine, réapprends à fonctionner. Je ne sais pas si c’est la dynamique d’Ela qui semble l’éveiller, mais j’ai la sensation que je ne pouvais pas rester dans un état de mort cérébrale plus longtemps. Je me laisse surprendre par mon ton acerbe, ironisant et malveillant. Laisser le démon avoir l’ascendant sur ma vie ne présage rien de bon, au contraire j’ai l’impression d’être une vieille fille qui déverse sa frustration. Un fruit pourri qui empoisonne les autres, qui ne supporte pas de voir la joie et l’amour autour de lui alors qu’il n’y a plus accès. Je commence à devenir comme ces marâtres que je déteste tant dans mes livres, celle qui n’arrive plus à se réjouir du bonheur des autres alors qu’avant c’était mon moteur de vie. Une passion, un besoin essentiel... quand est-ce que je suis devenue aussi frustrée ? Probablement à l’instant où j’ai réalisé que le monde ne s’arrêterais pas de tourner si je n’étais plus là. Pas de nature nombriliste, mon cœur ne cesse pourtant de se serrer quand je constate que la vie continue, que ma peine, aussi immense soit-elle, ne changera rien. Ela sera toujours la petite Indienne au sourire éclatant, celle qui fait gaffe aux autres et qui veux se la jouer cupidon ce soir. Sûrement consciente que me parler d’amour aggraverait mon cas, elle a choisi de ne pas me mettre dans la confidence en ce qui concerne Ravi et ce mystérieux crush. Jusqu’à ce soir. La part la moins confiante de moi me torture en hypothétisant sur ces cachoteries : “ si tu n’avais pas été là ce soir, personne n’aurait pris la peine de te confier cette nouvelle “ est-ce que je me trompe ? Je suis celle qui souffre, celle à qui il ne faut pas parler d’amour de peur qu’elle se défenestre. Ont-ils peur de moi ou de ce que je pourrais faire ? Ela ne pense pas à mal en me parlant de Ravi et de son futur amour, elle doit sûrement penser que me donner un objectif suffirait à me sortir de ma convalescence. Quoi de mieux que jouer les cupidons pour oublier que personne ne me décochera de flèches dans le cœur ce soir ?  

Pour autant je regrette. Le ton que j’emploie contre Ela quand elle m’expose son plan est rude, comme si elle y pouvait quelque chose. Ma gorge se remplis de larmes, je feins un sourire d’excuse qu’elle ne remarque pas, sortant au pas de charge de la chambre pour aller ouvrir à notre invité du soir. Je pousse un profond soupire qui doit certainement s’entendre du salon, regrettant d’exposer publiquement ma peine. Surtout face à Ela qui a toujours été d’un grand soutien. Autant que son frère. Pourquoi je m’efforce à croire que tout le monde est contre moi alors que je suis bien entourée ? L’Indienne a peut-être raison, m’occuper des affaires des autres serait le meilleur moyen pour moi d’ignorer les miennes ? Inachevées ? Je ne suis pas du genre à fourrer mon nez dans ce qui ne me regarde pas, bien au contraire. J’ai même tendance à être un peu solitaire et masquer mes troubles pour ne pas en faire profiter les autres. Jusqu’à ce soir. Peu convaincue de pouvoir me changer les idées cependant, je me galvanise de l’énergie électrique d’Ela pour rejoindre le salon. Ou du moins traîner ma carcasse jusqu’à notre invitée d’honneur. Mon cœur rate un battement au moment où une tignasse brune se jette dans mes bras, manquant de me faire vaciller et perdre l’équilibre. Je l’enlace avec toute la force dont je suis capable et le fantôme d’un sourire plane sur mes lèvres. La surprise est intense et je me réjouis que Jamilah soit le troisième mousquetaire, je ne sais pas si j’aurais été capable d’affronter le jugement d’une inconnue ce soir.  

Comme à son habitude, elle est à couper le souffle ainsi apprêté. Je commence à royalement la jalousée d’être toujours aussi parfaite, un rien l’habille. Je suis sûre que même enveloppée dans un sac à patates la rendrait craquante. Une petite flamme s’éveille en moi, je commence à penser que cette soirée ne sera pas aussi terrible que je le pensais. Surtout si c’est bien sur elle que Ravi à des vues enjôleuses. Ce que je ne tarde pas à demander. La réaction d’Ela me fait plus mal que celle de Jam, pourquoi ainsi m’en vouloir soudainement ? Je regarde l’expression mortifiée de la belle brune, perplexe. J'ai fait une bourde ? Comment m’en douter ? J’ai été mise dans la confidence il y a à peine cinq minutes. Je tente de réprimer mon agacement en croisant les bras sur mon ventre, geste de protection qui ne me quitte pas. Elle ne peut pas m’en vouloir d’essayer d’aider, je pensais que la problématique c’était : Jam aime Ravi c’est acté, ce dernier n’a pas conscience de ces sentiments et il faut jouer les cupidons pour lui ouvrir les yeux non ? Encore une fois, je me suis trompée. Ni l’un ni l’autre ne réalisent l’alchimie qu’il y a entre eux... et la réaction de mon amie me conforte dans l’idée que, malgré ses dires, elle ne trompe personne. « N'importe quoi ! Il y a aucun crush! Vous avez commencé à boire sans moi ou quoi ?! » je réprime un rire, elle reprend : « Il n'y a que de la haine entre nous… Oui, de la haine mesdames ! » sans prévenir, je passe un doigt sur sa joue rouge que je trace avec douceur « Ce n’est pas beau de vivre dans le déni... » je marmonne gentiment, en même temps qu’Ela qui s’exclame : « Une haine profonde de toute évidence. Pas d'alcool promis et c'était juste une plaisanterie ne t'en fais pas. » je la regarde, les sourcils froncés par l’incompréhension. Une plaisanterie ? Mais non, pas du tout. Au contraire, je trouve ça dommage de dissimuler une telle passion, de ne pas en profiter tout de suite de peur qu’elle ne s’évanouisse. Mon propre traumatisme refait surface, je sais que le bonheur est toujours de courte durée. Il faut savoir le saisir quand elle apparaît, sinon la belle brune risquerait de le regretter. De plus, d’après ce que j’entends, Ravi semble lui aussi sous le charme de Jam. Je ne l’ai pas encore vue en sa présence, mais de ce que m’a rapporté Ela et Jam, c’est limpide. Un peu comme à l’école où le garçon s’amuse à tirer les couettes de la fille qu’il aime bien, l’amour par la violence. Est-ce qu’il en va de même pour Nathan et la douleur qu’il m’a infligé ? Théorie à la con. « De la haine profonde ? » je questionne finalement, en reprenant ses paroles. « Il a soulevé ta jupe devant tout le monde ? » je demande aussi naturellement que possible, comme si je venais de demander le menu de ce soir. Mentalement, j’essaie de me convaincre que mes hypothèses sur la cour d’école et les agissements de Ravi font sens. Après tout, de la haine à l’amour il n’y a qu’un pas non ?  

Comme pour me punir de mon manque de discrétion, Jamilah me fait une douce remarque sur ma tenue du soir. « Il est très bien ton t-shirt… Pour dormir. Pas pour sortir chérie… Mais… J'ai des tenues qui vont faire de toi LA bombe de la soirée. Et interdit de râler, tu n'as pas le choix. » j’accepte avec plaisir le bouquet de bonbons qu’elle me tend. « Je ne savais pas que tu étais magicienne ! » je plaisante en enfournant mon premier bonbon. Je n’aime pas manger sucré d’ordinaire, préférant une bonne assiette de fromage pour me requinquer, mais je ne vais pas me plaindre de ce que m’apporte la belle brune, c’est déjà adorable. Puis celle-ci semble prendre très à cœur la tâche qui lui a été confié, comme s’il était possible de me métamorphoser. Ela semble approuver ce que dit Jam, lui accordant une confiance aveugle qui me pousse à faire de même. Si elle est capable de me faire un aussi beau maquillage qu’elle a sur les yeux, je veux bien être leur tête à coiffée humaine. Même si je sais que Nathan ne me verra jamais aussi belle... Ne pas y penser, ne pas y penser. Je le glisse dans un coin de ma tête et espère secrètement réussir à être aussi belle qu’elles...

« Non, mais je travaille au Walmart donc… j'en ai profité pour égayer notre soirée ! Dans les sacs il y a des parfums aussi si vous voulez, du maquillage neuf et quelques bonbons et chocolats ! » Quel endroit plus magique que le Walmart ! Je hoche la tête et continue de picorer les petites douceurs pour qu’elle comprenne que ses petites intentions me font plaisir. Bordel, je commence à me dire que Jamilah, jusqu’à maintenant, m’a toujours vue dans des états pas possibles. Entre ma presque agression et ce soir, j’ai toujours l’air d’un zombie accablé par la douleur du monde sur ses épaules. Je suis pourtant tellement plus que ça, ça m’agace de ne pas montrer le vrai visage de Swan. Mais je crois que cette dernière a définitivement disparue...

D’autant que je suis une intruse en puissance en volant la chambre d’Ela, ce qui me met dans une position délicate, surtout s’ils veulent... monter un plan ? Timidement, je continue à plaider ma cause et essaye de faire comprendre à l’Indienne que dormir sur le canapé ne me pose aucun problème. Je ne suis pas exigeante et je saurais dormir sur n’importe quoi, tant que je trouve le sommeil. Mais la belle ne semble pas l’entendre de cette oreille : « Ne dis pas de bêtises tu es ici chez toi ma belle et il est hors de question que tu squattes le canapé ! » je dodeline de la tête, boudant un peu à ses paroles. Sa grande gentillesse et son hospitalité me donne envie de lui rendre l’appareil, mais je ne sais pas comment. Payer les courses, la moitié du loyer, faire le ménage et à manger... c’est déjà prévu au programme. Non, il faut trouver ce petit quelque chose qui lui fasse comprendre à quel point je suis reconnaissante envers elle. Je me garde ça dans un coin de la tête et me promet d’y revenir dessus plus tard. « Génial, vous dormez ensemble ce soir et moi, je bousille son lit pour la nuit. » « Adjugé ! » je penche la tête en arrière et lance un dragibus qui atterrit dans ma bouche, encore un talent caché qui ne me sert pas à grand-chose. Quand je pense à tous ces soirs d’entraînement avec les triplés à jouer au “ basket-bouche". Puis j’entends les mots de mes amies et comprends que je n’ai pas mon mot à dire « Tant pis, dès demain j’achète une tente et l’installe dans le salon. » je réponds d’un air buté en haussant les épaules. Il y a du mieux, je fais de l’humour. Je ne sais pas si c’est l’ambiance générale ou la présence des filles, mais je sais faire des phrases avec un sujet-verbe-complément et c’est un exploit. Moi qui me murais dans le mutisme depuis ce fameux jour...

« Tu veux participer ? » je lance un regard interrogateur à Jamilah puis croise une Ela pétillante qui essais de me convaincre visuellement de rejoindre la croisade. « Mais il ne m’a rien fait à moi, Ravi... » je tente d’une voix craintive en regardant simultanément les déesses brunes. Même si je doute que ce soit réellement pour se venger d’une quelconque crasse que d’embêter le bel Indien. Mais quand je pense à tout ce qu’il a fait pour moi jusque-là, je ne sais pas si j’aurais le cœur à lui jouer un mauvais tour. Empathie extrême oblige, je me mets à sa place et ça me fait un peu de peine. « Imaginez qu’il m’en veuille ! » je reprends d’une voix penaude en fuyant le regard des filles, de peur qu’elles me transforment en pierre à refuser de m’impliquer dans le plan machiavélique. Après tout... je ne suis au courant de rien. « Aujourd'hui Mesdames… Nous allons prendre une vengeance sur l'individu nommé Ravi Kapoor. Son crime ? M'avoir fait croire à une trêve avec une fleur avant de m'envoyer un jet d'eau GLACIALE dans la face, en pleine rue… Alors qu'il faisait moins vingt au minimum ! » je hausse les sourcils, étonnée. Ravi a toujours été un farceur, c’est indéniable. Donc j’avais raison, c’est clairement l’hypothèse de la cour d’école qui se joue sous mes yeux. C’est mignon... « Mon plan, c'est de mettre la mousse à raser sous sa couverture. Il ne s'en rendra compte qu'au moment de se coucher. Simple, qui ne tâche pas mais qui le fera assez chier pour le faire regretter cette agression inhumaine ! » Aoutch, c’est vraiment machiavélique. Un frêle sourire se dessine sur mon visage, je commence à prendre un peu de plaisir à l’entendre parler d’une voix de militaire. Elle est vraiment drôle cette fille ! « Cela me semble parfaitement légitime... Pour un début de vengeance ! » je regarde Ela du coin de l’oeil qui fait un salut militaire assuré. Je tente de l’imiter mais, encore un peu faible et la tête ailleurs, je pose deux doigts sur le front, la paume tournée vers elle et le regard désabusé en mâchant un autre bonbon. J’ai l’air d’une petite fille qui découvre son corps et sa motricité en imitant les grands.  

« Après ça, Swan ira prendre une douche. On se débarrassera de ce t-shirt anti-sexy et elle fera des essayages avec le contenant de cette valise. » c’est plus fort que moi, je glousse face aux paroles de la belle brune. Quand c’était la dernière fois que j’ai ri ? Je ne m’en rappelle même plus... Mais ça fait du bien ! Et je comprends mieux l’utilité de la valise qui fait presque ma taille, mais si je dois essayer tout ce qu’il y a là-dedans, on n'aura jamais le temps de sortir. Je parle en m’incluant dans cette soirée maintenant ? De mieux en mieux !
« Superbe ! Et, avec un peu de maquillage, tu seras à tomber ! » Je regarde Ela avec des yeux brillants, passant une main sur ma joue. « Tu crois vraiment... ? » je songe avec espoir. J’ai du mal à croire qu’elles puissent ainsi me changer, ce serait un miracle. Je ne me suis jamais senti belle... mignonne de temps en temps, pas spécialement moche mais présentable... mais jamais belle. Le genre de beauté déchirante que possède mes deux amies face à moi. Serait-ce possible que je me fonde à mon tour dans le moule ? « Et on mettra une musique en fond comme dans les films. Je propose Baby shark! » Je pousse un profond soupire suivit d’un gémissement désaprobateur. Dans les films, comme elle le dit si bien, c’est plus du “ Pretty Woman “ ou du “ Girl just wanna have fun “ qui passe en bande son. Pas cette musique de l’enfer !  

« Baby Shark ? » s’enquit Ela, septique. « C'est une musique qui te restera en tête jusqu’à la semaine prochaine... » je grimace, songeant à mes nombreux étés à faire danser les enfants dans le camping sur cette musique. Après deux heures de danse, la musique ne faisait que tourner dans ma tête jusqu’au couché. Un enfer au même titre que “ Poussin Piou “ ou “ René la taupe “ …
« Si jamais, j‘ai déjà pris ma douche... Au cas où, pour aller plus vite. » je lève le doigts comme à l’école en m’exprimant. Oui, je suis passé bien avant Ela, juste après ma séance de jogging. Il faut voir le bon côté des choses, ma rupture inachevée m’a boosté pour me remettre à la danse prochainement. Comme quoi, le malheur des uns... font la nouvelle vie des autres. Ça ne veut rien dire mais vous avez compris.

Jusqu’ici, je n’avais jamais fêté la St Valentin.
Parce que le contexte ne s’y prêtais pas ou parce que mon partenaire n’était pas disposé à laisser sa colère de côté le temps d’une soirée.
Pourtant je pensais que cette année allait être différente des précédentes, que Nathan trouverait le moyen de me surprendre encore une fois. Je pensais toucher les étoiles le temps d’une nuit, me sentir aussi normale que possible dans une relation stable et sans accros. Alors que nous n’étions qu’aux prémices d’une potentielle idylle, je me voyais déjà valser dans ses bras, vêtue d’une somptueuse robe que j’aurais acheté pour l’occasion, apprêtée comme une poupée de porcelaine. Le regard de mon amant dévorerait langoureusement mes courbes jusqu’à ce qu’il m’embrasse avec tout l’amour dont il serait capable. Je souffle avec humeur, l’espoir que cela se produise un jour s’envole avec mon soupire.
Comme tous les ans depuis toujours, je n’ai rien à fêter.  
L'homme n'a dans son cœur qu’une toute petite place pour l’amour...

« Vous n'êtes pas drôle… »

Plongée dans ma rêverie, je lève des yeux étonnés vers Jamilah. L’espace d’un instant, j’ai phasé sur mes propres soucis au lieu de me concentrer sur le réel but de cette soirée : jouer les cupidons pour Ravi et Jam. J’ai l’air d’une folle échappée de l’asile, le regard inquisiteur et parfois vidé d’émotions. C’est plus fort que moi, cette romance à peine acquise m’intrigue autant qu’elle me blesse : l’espoir de concentrer toute mon énergie sur deux personnes que j’aime me boost, mais savoir qu’ils seront heureux et amoureux à mes dépends me met dans un drôle d’état. Je ne suis pas concernée par cette histoire, je vais même peut-être devoir prendre Ela à pars pour qu’elle m’explique sérieusement les tenants et aboutissants pour que je ne fasse plus de gaffes. Mais comment m’en vouloir ? Je veux tellement bien faire que je finis par faire mal. Ou me faire mal.  
Néanmoins, le déni de la belle brune m’aide à atterrir. Je la contemple de mes grands yeux noirs, les bras croisés sur ma poitrine et un sourire mystérieux qui flotte sur mes lèvres.

« Est-ce que tu connaît la théorie de la cour de récréation, Jamilah ? » je la questionne en plaçant mes pions sur l’échiquier. Je croise le regard d’Ela qui, je l’espère, sais de quoi je parle. Je ne voudrais pas être hors sujet ou faire échouer le plan lamentablement. Non, mon but est de mettre l’Indienne et la.... Elle est de quelle origine d’ailleurs ? Son regard félin et sa chevelure de jais me fait comprendre qu’elle n’est pas de l’Est, ou alors ils se sont fait coloniser par les latins. C’est possible ça ? Il faut que je pense à lui poser la question un jour. Anyway, j’essaie de guider mes amies sur la piste à laquelle je songe depuis que j’ai eu vent de cette histoire. Et l’envie de Jam de pourrir la vie à Ravi me convainc un peu plus sur cette hypothèse. « Laisse tomber, je divague... » je balais mes paroles d’un geste de la main « vague. » je souffle en me laissant tomber sur le siège prêt d’elles. Quoi ? Je ne pouvais pas ne pas faire cette blague, c’était plus fort que moi. Je fronce un instant les sourcils et regard Ela, un peu perturbée par mon revirement d’énergie. Aurait-elle raison depuis le début ? Laisser mes émotions dans un coin de ma mémoire l’espace d’un instant pour juste... profiter. Je me mordille le coin de mon ongle, songeuse. C’est plus qu’une thérapie à ce stade, c’est un stade de guérison avancée que je viens de découvrir...
Par automatisme, je songe au visage de Nathan et à son sourire. L’impression d’être à l’agonie a disparue, juste une vive douleur qui se propage jusque dans mes doigts de pieds.  
C’est un bon début.

« Il en aurait été capable ! » Je fais de gros yeux à l’Indienne avant de rire, m’imaginant mal Ravi aussi pervers. Mais voir Jamilah s’approcher sans répondre ne me dit rien qui vaille : « Il a dégrafé mon soutif à la fête de Noël, dehors… » Je la regarde en fronçant les sourcils. Pourquoi tout le monde chuchote comme si le Grinch allait sortir de la salle de bain pour nous fouetter ? Malgré moi et toujours avec cette douceur qui ne me quitte pas, je balance comme une camionneuse : « Et il a vu tes seeinnn...AaAaAaAaAaAaAaAaAH... ?! » je me rends compte de ma bourde trop tard, le mot “ seins “ se transforme en quelque chose d’informe semblable à un cri de désespoir ou à un son qui n’a plus rien à voir avec ce que j’allais dire. Mais le mal est fait. Blanche comme la mort, je regarde Ela puis Jamilah successivement. « Il a vue des petits pains. Des petits pains. Il a vue des petits pains. C’est pour ça que t’es vénère. » je hoche la tête en regardant fixement la principale intéressée, comme pour la convaincre que c’est de ça dont elle m’a parlé à l’oreille. Pour autant, je ne peux empêcher mon sourire taquin de s’étirer sur mes lèvres, signe que j’avais raison. On est bien dans une cour de récréation, Ravi vient de regarder sous sa jupe, ou pire. Mais nous n’avons plus dix ans et les petits jeux d’enfants se transforment en taquineries d’adultes. Le cœur au bord des lèvres, j’envie un peu la belle même si cette façon d’agir n’est pas très orthodoxe. Pas sûre que ça me charme particulièrement si ça devait m’arriver d’ailleurs...

Mais je ne suis pas sûre de vouloir troquer mon t-shirt mi-douillet mi-pyjama pour une robe de soirée. Le temps dehors est si négatif que mes cheveux risquent de se dresser sur ma tête et congeler au contact de l’air, ce n’est pas un temps pour sortir toutes guiboles devant voyons ! Mais à croire le regard sournois de Jamilah et les petits rires d’Ela dans mon dos, je ne vais pas échapper à ma sentence. « Magicienne ? Non… Juste talentueuse et avec un modèle comme toi, cela sera plus que simple ! » à ses dires, mes joues se teintent de rouge et je détourne le regard. Une partie de moi voudrait croire à ses mots, penser que je suis suffisamment belle pour attirer les regards. Même s’il n’y en a qu’un qui m’importe réellement, elles me pomponnent un peu pour du vent. Nathan ne me verra jamais... puis il s’en fiche je pense. La poisse. La mission suicide par excellence ! « Je me disait bien qu’il y avait une entourloupe ! » je plaisante en montrant la gigantesque valise qu’Ela s’empresse de désosser. « Au pire, j'ai du gros scotch dans la boite à bricole, nous n'hésiterons pas à nous en servir ! » je roule des yeux en m’imaginant les traits tirés par de gros rouleaux de scotch double face « Pardon mais, je n’ai aucune envie de ressembler à Courtney Cox... » je réponds d’une grimace, un peu dégoûtée. Faut dire que la belle a un peu abusé du bistouri, conséquences de sa réussite dans la série Friends. À croire que la gloire et l’argent fait faire des folies... « Sauf si ça peut me faire disparaître mes cernes à la limite ! » je réponds en haussant les épaules, tirant sur mes paupières en leur tirant la langue. Mon manque de sommeil n’est plus un secret pour personne, j’ai l’air de faire un marathon depuis plusieurs jours... on pourrait stocker un bébé kangourou sous mes yeux que ça ne choquerait personne. « Mais c'est vrai que tu n'es pas un gros challenge non plus ! » Ses mots me réchauffent le cœur, pourtant je tire une petite moue en haussant à nouveau les épaules. Tic que j’ai piqué à Nathan visiblement... Pourtant, j’ai du mal à croire mes amies qui semblent suffisamment attachée à moi pour me surestimer, elles qui donnent l’impression de sortir de Gossip Girl. Des beautés comme on en fait plus...  

Ayant l’esprit rebelle, je menace ma colocataire de déménager dans une tente au milieu salon pour qu’elle puisse récupérer sa chambre. C’est vrai quoi ! Je ne suis pas chez moi et ce trop pleins d’hospitalité commence à me gêner. « Les tentes Quechua sont pas mal à ce qu'il parait. Je dis ça, je ne dis rien » je pointe Jam du doigts et regarde Ela avec de grands yeux en hochant vivement la tête, comme si ce qu’elle venait de dire était la chose la plus intelligente de l’univers. « Deux minutes top chrono le bazar ! Ni vue ni cul nue, je n’embêterais personne dans ma petite tente une place. » je soutiens cette idée avec autant de ferveur qu’un avocat prêt à défendre son client, ce qui n’a pas l’air d’être au goût de la belle Indienne. « N'importe quoi ! Et pourquoi pas la mettre sur le balcon aussi puisqu'on y est ? » je lève les deux mains en l’air, l’air de dire “ ne me tente pas “ car elle sait que j’en suis capable. « Et toi ne l'encourage pas ! Sauf si tu comptes squatter la chambre de Ravi bien sûr... » bouche bée, je regarde Ela avec admiration avant de me tourner Jamilah, effectuant un mouvement de fauteuil digne de Docteur X ou du Parrain dans... bah dans le Parrain quoi. « Ela soulève un point très intéressant ! Tu veux en parler ? » tout est bon pour que le sujet dérive sur la potentielle histoire entre les deux tourtereaux du moment. Je sens que j’ai jugé cette soirée un peu hâtivement, je vais peut-être m’y amuser...  

Après tout, il commence à se faire tard et c’est fort improbable que les filles carburent essentiellement au coca. Ce serait peut-être extrêmement judicieux de laisser Jam dormir ici... et pourquoi pas, la glisser dans le mauvais lit par erreur et bim badam. Qu’est-ce qui m’arrive ? Je vais finir par être pire qu’Ela, si ce n’est pas déjà trop tard.  

Pour le moment, les demoiselles se sont mises en mode commando et moi je stagne un peu entre l’envie de m’amuser et la peine que ça pourrait infliger à Ravi si je m’y colle aussi. Bonne pomme, mon côté trop empathique a tendance à se retourner contre moi dans ces situations. « Il ne t'en voudra pas… Au fond il aime ça ! Demande à Ela ! Après si tu flippes… Je comprends hein. » ses paroles résonnent comme un défi dans ma tête, je regarde un instant Jamilah avec intérêt avant de me tourner vers Ela qui cherche surtout à me rassurer : « Allons Swan, tu sais que Ravi est une patte ! Il est parfaitement incapable d'en vouloir à qui que ce soit et Jam a raison, il adore qu'on l'embête en vrai ! » elles ont peut-être raison, c’est sûrement rien et j’en fait une montagne. Comme à mon habitude d’ailleurs... Malheureusement, je n’ai jamais eu ce genre de complicité avec mes frères, ce besoin de se pourrir la vie pour se prouver que l’on s’aime. C’est triste d’ailleurs... combien de jeux d’enfants avons-nous pu louper ? Tout ça parce que nous étions obligés de grandir trop vite...
« Puis je serai là pour te défendre au pire bien que je puisse aussi comprendre que tu préfères rester hors de tout cela, ce n'est pas une obligation. » j’ai l’impression de passer pour une dégonflée quand je les écoute. Je regarde mon amie se mettre au garde à vous, prête à rejoindre les rangs. Je regarde ma main et essais d’effectuer le même signe qu’elle, avec un peu plus de difficulté. On dirait que je prends ma température mais qu’importe... « On commence par quoi ? » je demande en attrapant une des bombes à mousse à raser qui est à portée de main. Je délaisse le bouquet de bonbons, lance la bombe qui fait trois tours en l’air et la rattrape avec aisance. Au fond, je ne suis pas aussi sûre de moi, mais je ne veux pas être mise à l’écart. Je voudrais découvrir et partager autre chose que des larmes... alors allons-y, taguons ! Enfin... il faut tagger les murs ? Qu’est-ce qu’elle avait dit déjà ?  

« C'est légitime. Et en plus, j'ai une compensation pour le calmer après. » je regarde l’enveloppe qu’elle extirpe de son sac, penchant légèrement la tête sur le côté pour essayer de déchiffrer ce qu’il y a à l’intérieur grâce à la lumière qui se reflète dessus.
« Tu... lui as fait un chèque ? » je suppose innocemment après un bref silence. C’est la seule explication, à moins qu’elle ait glissé un “ bon pour un câlin d’une nuit “ dedans ce qui ne m’étonnerait plus au point où on en est. Avec tout ce que je découvre ce soir, je m’attends à tout. « Alors c'est encore plus parfait ! » Ha bah si Ela approuve, je suis le mouvement... j’espère que ce n’est rien de pervers. Enfin si, j’espère pour eux. Ça serait cool pour eux... « Et bien sûr que tu seras magnifique Swan ! Tu l'es déjà si on oublie ce vilain t-shirt. » je geins comme une enfant quand elle me pince la joue. Si dieu le veut, je veux bien faire confiance à mes amies pour me transformer en sirène. Au pire du pire, j’entraînerais les navires jusque dans mes récifs... rien de mieux pour trouver l’amour qu’hypnotiser un marin grâce à sa voix. Mais arrêtez de dire que mon t-shirt est vilain voyons ! C’est un de mes préférés, un produit dérivé de la série de film “ Les seigneurs des anneaux ” un classique ! Ce n’est pas moche... si on oublie Golum.  

« Vraiment ? » je n’ai pas le temps de répondre que Jam semble touchée en pleins cœur « Hey ! Baby Shark est une des meilleures musiques de cette planète. Mais… peut-être pas adaptée à l'essayage, je l'admets… » je dodeline de la tête, autant je suis d’accord par rapport aux essayages... autant pour la meilleure musique de cette planète... « Promis, je t’offrirais une place de concert pour le Baby Shark Tour ! » je dis en tendant mon poing vers elle, pas certaine que ça existe vraiment. Il y a bien des prêtres qui font des stand-up maintenant, pourquoi pas un requin géant en peluche chantant un hymne inoffensif qui te donne envie de vomir après une seule écoute ? « Ma foi, je vous fais confiance ! Sortie des musiques de mon pays je suis un peu perdue... » Qu’est-ce que j’envie Ela de ne pas connaître cette horreur, exiler moi en Inde je vous en supplie. « Alors général Petite Souris, vous serez en charge de la musique ! Mais avant, on s'occupe de Ravi ! » Ha bah ça m’apprendra à me taire ça tient ! Moi qui écoute principalement du classique et des BO de films, je risque d’être un peu à la ramasse en termes de playlist. Elles vont se foutre de moi ! Néanmoins, il y a plus important dans l’immédiat : devenir un parfait petit soldat pour Jamilah et Ela. Je serre les doigts sur la mousse à raser que j’ai gardé dans les mains jusqu’à maintenant et les suis d’un pas chancelant jusqu’à la chambre de Ravi. En plus de violer son intimité, on le prive d’une bonne nuit de sommeil après un service potentiellement anarchique... mais c’est vrai que ça a l’air drôle. Voyant que Jam s’occupe déjà avec énergie d’une grande partie de la chambre, je regarde autour de moi en quête de quelque chose que je pourrais... “ décorer “ ? Timidement, je mets de la mousse sur la poignée de porte côté chambre. Timidement, je regarde mes amies en haussant les épaules : « Comme ça il aura une autre mauvaise surprise en se levant le matin ! » je me défends. Pas sûre qu’il soit aussi mal réveillé que ça pour ne pas voir les dégâts sur sa porte, mais pourquoi pas ? Au moins, je participe !

« Il va faire une de ces têtes ! » je hoche la tête, déçue de ne pas être une petite souris pour épier sa réaction demain matin. « A ton tour maintenant… » oh god, ça y est. Mon heure a sonné. « Alors allons-y si tu es déjà propre ! » Comme je regrette de m’être remise au sport, comme je regrette d’avoir déjà pris ma douche. Au moins, ça m’aurait accordé un peu de répit avant de me transformer en Pretty Woman géante. Je regarde Jam sortir des vêtements comme s’il en pleuvait, surprise de voir à quel point elle est équipée pour n’importe quelle situation. Certains motifs me sautent plus aux yeux que d’autres, mais je vais devoir faire confiance à mes amies, je n’y connaît rien à la mode visiblement ! « Le tas que je viens de faire, tu n'y fais pas attention. Tout le reste est à toi ! Ensuite, Ela te coiffera, je te maquillerai et on fera une photo Instagram du tonnerre ! » je hoche la tête, un peu anxieuse. Qui dit Instagram veux dire que Nathan verra forcément la photo du coup si on me tag dessus ! Je déglutis, partagée entre une excitation soudaine et une immense frayeur. « Oublie pas la musique ! » Au moment où j’attrape mon téléphone, mon cœur rate un battement. Je vais devoir le rallumer et tomber sur des notifications qui risquerait de me faire passer une très mauvaise soirée... je reste ainsi là, stagnante au milieu du salon, regardant mon téléphone sans vraiment savoir quoi faire. « Je ne sais pas connecter mon téléphone à ce truc mais c'est en bluetooth et c'est prêt DJ souris ! J'attends que vous ayez arrêté la tenue pour décider du reste. » bah oui, ce serait trop beau... je regarde tour à tour mes amies, l’air grave. Je ne peux pas péter l’ambiance aussi naturellement quand même... Finalement, après quelques secondes de latence, j’allume mon écran qui met une éternité à s’allumer. À la vitesse de l’éclair, je le déverrouiller et tente d’ignorer la photo de Nathan et moi en fond d’écran, ouvrant l’application Deezer à toute allure. Ignorer les notifs ignorer les notifs ignorer les notifs... le cœur au bord des lèvres, j’ouvre ma playlist “ fiesta “ basé sur mes goûts un peu plus électro pop et tends l’appareil à Ela que j’oblige presque à saisir. Il faut que je m’en débarrasse, il me brûle déjà les mains et je ne veux pas voir ce que je n’aurais pas envie de voir... Qu’importe si Ela ou Jamilah lis des trucs embarrassants, je ne compte pas garder ma situation secrète de toute façon... mais je ne peux pas faire face. Pas ce soir alors que tout semblait aller si bien...  

La musique “ good 4 u “ d’Olivia Rodrigo démarre dans la petite enceinte. Je fuis le regard interrogateur d’Ela et attrape la pile de vêtements et me rue dans la salle de bain. Ne pas réfléchir, ne pas réfléchir... j’enlève mon t-shirt que je balance dans un coin de la pièce et enfile la première pièce qui me tombe sous les mains : une espèce de... peignoir en satin blanc hyper échancré. Mais tellement échancré qu’on devine la courbe de ma poitrine au travers du tissus. Je déglutis et me regarde dans la glace. Dans d’autres circonstances... je ne dirais pas non. Mais là c’est peut-être un peu abusé ! Je sors de la salle d’eau après dix petites minutes, les bras serrés sur ma poitrine et le pas hésitant.


« Comment dire... ? » je regarde mes amies, intimidé de me retrouver presque nue devant elles. C’est confortable, mais je vais me cailler les miches c’est sûr. Je ne dis pas, ça concorde parfaitement avec ma peau caramel et mes longs cheveux noirs... peut-être que je pourrais porter cette tenue si je vivais à Athènes au temps des dieux de l’Olympe. Peut-être. « Ce n’est pas un peu... trop ? » je suis extrêmement rouge à travers le tissu blanc. Dans la petite enceinte “ Woman “ de Doja Cat résonne. Quelle drôle de coïncidence...  

J’ai encore tant de choses à apprendre émotionnellement parlant. Tant de choses à découvrir sur l’amitié et sur l’amour, moi qui m’en étais faite une représentation biaisée par mes livres et mes films favoris. Non, je doute qu’Ela et Jam me suivent dans une chorégraphie endiablée pour reproduire la célèbre scène de Mamma mia et s’époumonner sur du “ Dancinq Queen “ même si ce serait un rebooster de morale plus que conséquent. Non, je doute qu’un jour on vienne me quérir sur un éléphant géant pour me chanter “ I will always love you “ un soir de pleine lune. Jamilah n’avait pas tort : les films et les livres sont une représentation trop parfaite de la réalité, un moyen de plus de s’évader et oublier notre tristesse. Ce fut libérateur quand je n’avais personne à qui parler, personne pour me consoler ou me dire de lâcher prise, personne qui n’arrive à la cheville de mes deux amies ici présente. Ce soir, je n’ai plus besoin de m’enfermer dans des chimères pour voir la vie en couleur, je dois juste apprendre à me reposer sur les autres. Oui, effectivement, c’est périlleux... Plus j’observe Jamilah et sa force de caractère, plus je me dis que jamais je n’aurais autant confiance en moi qu’elle peut avoir confiance en elle. Plus j’observe Ela et son sourire éclatant, plus je me dis que jamais je ne saurais illuminer la vie des gens comme elle sait si bien le faire avec sa candeur naturelle. Je suis Swan, un échantillon raté de ces deux magnifiques personne qui savent me redonner du baume au cœur et me faire penser à autre chose l’espace d’un court instant. Un instant pour souffler et ne pas souffrir, un instant où ma douleur est allée s’endormir dans une petite boite au fond de mon esprit, bon débarras pour ce soir...

Être la version foirée de deux déesses, c’est aussi ne pas savoir se faire comprendre quand on expose ses idées. « La cour de récréation ? De quoi tu parles ? » je pousse un soupire désespérée. Jamilah ne m’exaspère pas à ne pas voir où je veux réellement en venir, c’est plus mon incapacité à me faire comprendre qui me tape sur le système. Si je suis aussi douée pour exprimer mon amour, je peux un peu plus comprendre les motivations de Nathan en ce qui me concerne... « Il n'y avait pas de garçons dans mon école alors j'imagine que mes théories de cours de récréations ne sont pas les mêmes qu'ici. » je me frotte le front entre les sourcils à deux doigts, comme si mon crâne était une lampe magique. Qui sais ? Un géni pourrait sortir de mes oreilles et m’aider à éclaircir les lanternes de mes deux brunettes qui me regardent comme si je m’étais mise à parler Finois. La corrélation entre la relation Jamilah/Ravi, ou du moins les prémices de cette relation tumultueuse, et celle de deux écoliers qui se cherchent, ça prend sens dans ma petite caboche pourtant ! Ou c’est une théorie qu’on ne voit que dans les bouquins ? « Faites un effort les filles, d’habitude c’est moi qui suis à la ramasse, c’est perturbant ! » je souffle un petit rire avant de me mordre la lèvre et poser les mains sur mes hanches. Non pas que je ne comprenne rien à rien d’habitude, mais c’est vrai que je suis peut-être le moins... “ développée émotionnellement “ des trois, comme une petite fille qui redécouvrir la ville après avoir passé la moitié de sa vie dans une cave. Une petite fille abreuvée de contes de fées qui découvre qu’en réalité, la vie est moins magique que ce qu’elle s’imaginais...

« C'est le joint de la dernière fois ? Il est encore dans ton sang ? » J’aurais bien aimé, histoire d’être un peu moins à cran et plus détendue, même si le risque que je fonde en larme ce soir a déjà diminué de moitié, qui l’aurait cru lustucru. « Vous avez fumé des joints ? » je regarde Ela en haussant les sourcils, étonnés qu’elle ne soit pas déjà au courant. Non pas que j’ai le moindre compte à rendre à qui que ce soit, même si je n’ai rien à cacher, mais elle semble suffisamment proche de Jamilah pour connaitre les tenants et aboutissants de notre rencontre, non ? Ou est-ce que je suis à la ramasse de ce côté aussi ? Elle semblait pour le moins étonnée de voir que je connaissais déjà la belle Hongroise, c’est vrai ! Bon, comme ce soir j’ai décidé de prendre le chemin du “ voix sans filtres “, autant continué sur ma lancé : « Jamilah m’a sauvé un soir où j’ai failli me faire violer et pour fêter notre victoire on a fumé des joints. » je déclare ça d’une traite à l’Indienne, sur un ton calme comme si je récitais la recette d’un gâteau au chocolat, appuyant mes propos d’un mouvement de main vague qui dit sans que je ne le dise : ” ce n’est pas si grave que ça en fait “. Peut-être que je minimise, que je souffre tellement de ma situation actuelle que plus rien ne semble m’atteindre, que même une situation rocambolesque peut devenir... “ banale “ car elle n’a été qu’un grain de sable dans mon univers ? Pour autant, elle m’a permis de me faire une nouvelle amie, et je n’ai aucun séquelle donc autant ne pas s’attarder sur le souci j’imagine...

« Sur ce ! Pour revenir au sujet qui nous intéresse le plus... » je me redresse sur la pointe des pieds et fait un mouvement de bas en haut, allant d’avant en arrière sur mes talons en croisant les mains dans le dos, positionnée comme un professeur donnant son cours. « La cour de récréation, ou comme j’aime l’appeler : “ la théorie de la cour de récré “ est un phénomène physique visant à déclarer sa flamme à quelqu’un mais sans vraiment le faire ! » je laisse le silence s’installer l’espace d’un instant, le doigts levé vers le ciel et les yeux qui examinent la réaction de mes deux amies. Il n’y a pas à dire : je m’investis tellement plus dans ma prise de parole que dans ma relation amoureuse chaotique. « Ne parlez pas tous en même temps, je vais répondre à la question qui brûle vos lèvres avant que vous ne m’écharpiez ! » je prends une voix théâtrale en tournant sur moi-même, chorégraphiant mon discours comme une ridicule mise en scène que l’on pourrait facilement trouver dans une comédie musicale. « “ Mais Swan, comment déclarer son amour sans vraiment le faire ? Et dans quel but ? » je tape dans mes mains et me penche légèrement en avant, comme un professeur en attente d’un éclair de lucidité de la part de ses élèves « Eh bien, mes enfants, c’est très simple ! Quand un petit garçon aime une petite fille, il a tendance à lui tirer les couettes ou lui soulever sa jupe. Au fil du temps, on a constaté que ce phénomène se répétait à l’âge adulte : taquinerie, moqueries, mauvaises blagues... “ Suis-moi je te fuis, fuis-moi je te suis ” ou “ l’amour vache “ ou que sais-je ? Le jeu du chat et de la souris. » Est-ce là le moment ou l’éclair de lucidité va illuminer leurs jolis petits yeux ? Je ne leur laisse pas le temps de répondre de peur que Jamilah ne désapprouve et dément mes propos comme elle sait si bien le faire depuis le début. « Dans le projet ici présent, nous pouvons observer un phénomène d’attraction se produisant du patient A au patient B et vice et versa ! » je pointe du doigts mon amie avant de hausser les épaules « N'y voit là aucune insulte, tu seras le patient B... » nouvelle pirouette sur moi-même « Comment en suis-je arrivée à cette conclusion me diriez-vous ? Eh bien j’ai ouïe dire certaines plaisanteries venant de l’un comme de l’autre qui me laisse penser qu’on a sans aucun doute à faire à.… » je mime les roulements de tambours « LE PHENOMENE DE LA COUR DE RECREATION ! » je brandis les bras en l’air et effectue une série de petites révérences dans l’espoir d’être acclamée, mes cheveux se balancent d’avant en arrière dans le mouvement vif de mon corps. « Inutile de préciser que tout démentis ou mauvaise fois vaudra une réévaluation des pièces à conviction pour vous prouver que j’ai raison. » Je suis un peu essoufflée, j’ai les cheveux en bataille, mais putain que ça valait le coup.

Comme prise dans un élan d’euphorie par mon laïus digne des plus grands professeurs d’Harvard, les mots m’échappent quand Jamilah se penche à mon oreille pour m’en dire plus sur Ravi. Aussitôt mes yeux se tournent vers Ela et je rougis de honte, désolée de dépeindre son frère comme un simple pervers avide de gros lolos. Je vais effectivement finir par m’enrouler un rouleau de scotch autour de la bouche pour ne plus faire de gaffes... Je sursaute exagérément à la pichenette donnée par Jam à laquelle je ne m’attendais pas, frottant le bout de nez mon nez avec humeur en fronçant les sourcils. Oui, je suis en tort et je me permets de ronchonner ! Mais j’ai une excuse, je suis triste et démunie donc j’ai le droit à l’erreur... si si, je vous assure que c’est noté dans “ Les dix commandes de la rupture parfaite “ ligne 14. « T'es aussi discrète qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine ! » « J'ai même déjà croisé des éléphants plus discrets ! » surenchérit Ela en éclatant de rire. Bougeons, je croise les bras sur ma poitrine en tirant une moue enfantine. « Ce n’est pas ma faute, je ne comprends plus rien à vos histoires ! Puis j’vous f’rait dire que parfois je sais être discrète ! Rien que l’autre jour je... » je tiens ma phrase en suspend en hochant la tête, comme si je cherchais mes mots ou que je réfléchissais à si je devais le dire ou non. Une vraie Rachel Green qui essais de ne pas ragoter... Les yeux ronds et pivotant entre les deux brunes, je finis par me raviser en tapant du pieds « Toute façon moi on ne me dit jamais rien. » je conclus, à peine plus persuadée par mes propos que mes amies. C’est vrai quoi, moi je ne sais pas comment ça marche les confidences entre filles et tout le toutim, surtout si c’est une des trois qui ne doit pas être au courant pour diverses obscures raisons. Comment m’en vouloir ? Je ne suis qu’une victime dans cette histoire... « Et non, il n'a pas vu mes seins ! Il a juste dégrafé pour s'amuser ! C'est un crétin. » je regarde Ela du coin de l’œil, espérant qu’elle pense à la même chose que moi « Et pas la peine de tenter de me préserver, je connais mon frère vous savez ? D'ailleurs, comment crois-tu qu'il soit devenu aussi agile ? Il a commencé à m'embêter avec ça dès que j'ai mis mes premiers soutien-gorge ! » Je contemple Ela avec les sourcils froncés, sans comprendre. Je n’ai jamais eu recours à de tels jeux avec mes frères... peut-être est-ce seulement relatif aux Indiens ? Indiens purs souches j’entends... Je me mordille la lèvre en croisant les mains une nouvelle fois dans le dos, le regard bas. « Je réitère ce que je disais par rapport aux taquineries de cours de récré... Tu viens de nous fournir une pièce à conviction majeur ! » J’appuie mes paroles d’un mouvement de tête l’air de dire : “ moi je dis ça, je ne dis rien “ provocateur avant de sourire franchement, qu’est-ce qu’ils sont mignons ces deux-là quand même. Si seulement ils se rendaient compte, l’un comme l’autre, de leur réciprocité... s’ils pouvaient ne pas faire les mêmes erreurs que moi.

« Premièrement, nous n'utiliserons le scotch que si tu opposes résistance, donc, laisse-toi faire ! Deuxièmement, ce n'est pas une entourloupe très chère, mais une opportunité pour que tu comprennes à quel point tu es mignonne. Il te faut juste de la confiance en toi… Et pour finir… C'est qui Courtney Cox? » Peu convaincue par le début du laïus de la belle, je lève un sourcil et tire la moue. Quand je vois où ça m’a menée d’avoir confiance en moi, je ne vois plus l’intérêt de se fatiguer quand on constate le résultat désastreux de ma relation amoureuse. Mais inutile d’en parler tout de suite, ça reviendrait à caser l’ambiance et me lamenter sur mes problèmes, elles n’ont pas besoin de ça. Par contre, ce que dit Jam par après me sidère et mes yeux deviennent ronds comme des billes. Comment ? Qu’ouï-je ? Est-ce mon imagination débordante qui me fait planer ou l’Hongroise cherche-t-elle à me rendre folle de douleur ? Je pencherais plus sur la seconde option quand on voit ce qu’a donner notre discussion à propos de Star Wars. « Et oui, c'est qui Courtney Cox ? » Et voilà Ela qui s’y met ! Bon, je peux moins lui en vouloir, elle n’a certainement pas dû être élevée avec la même richesse culturelle. Pour autant, je dévisage mes deux amies comme si je venais de voir un fantôme, livide et sur le point de hurler. « Je ne ferais pas de scandale… » je commence calmement en m’asseyant lentement sur la chaise près d’elles « ... J'ai juste besoin d’un instant de repos pour assimiler cette situation venue de l’au-delà... » j’exagère un peu mon état de choc pour ajouter du comique à cette situation rocambolesque. Non, je ne peux pas croire Jamilah, elle a forcément déjà vue Friends... tous les enfants des années 90 ont déjà eu vent de cette série à succès, non ? Elle cherche juste à m’embêter comme elle sait si bien le faire, je suis si crédule que je tombe les deux pieds dedans à chaque fois.

Raison de plus pour que j’installe une tente au milieu du salon, je pourrais regarder mes épisodes de Friends tranquille sans que personne vienne m’embêter avec des questions ridicules telle que : “ Qui est Courtney Cox ? ”. « Elles ne sont pas très grande… Ça ne prendra pas trop de place en vrai ! » je hoche vivement la tête en tendant la main vers elle, comme pour lui donner raison. « Deux minutes ? C'est vrai que ça doit être drôlement pratique ! » « Et encore, deux minutes c’est large ! Dans la pub ils lancent le machin et paf, ça se déplie et les vacances commencent ! » je tape des mains à mon ” paf “ pour illustrer mes propos, même si je suis encore moins renseignée que la belle Indienne. Faut dire que je n’ai jamais vraiment eu l’occasion de partir camper, si ce n’est dans ma chambre en rassemblant deux chaises et un drap par-dessus ! Mais ça me plairait bien de vivre l’expérience du camping pour de vrai... ce qui risque de se produire réellement si on continue à pousser Ela à bout avec nos suggestions de me faire dormir dans le salon sous une tente. Comment on en est arrivé à là ? « Mais nahi ! Hors de question que mon invitée dorme dans une tente ! » j’observe le semi-énervement d’Ela prendre forme sous mes yeux, identique aux colères de ma mère qui prenait la même pose qu’elle pour nous disputer : les mains sur les hanches, les sourcils froncés. Je crois qu’être mère c’est universel, la culture n’a rien à voir là-dedans... J’ai hâte de voir quel genre de maman sera notre amie plus tard. Mais il n’est pas encore question de ça, même si être tata à mon âge ne serait pas un problème du tout...

Heureusement pour moi, et pour Ela qui va vraiment finir par imploser de l’intérieur avec nos bêtises, le sujet de discussion se penche à nouveau sur Jamilah et cet amour naissant que nous comptons bien bousculer ce soir. C’est vrai quoi : une soirée plus qu’alcoolisé qui l’oblige à rester dormir ici et le tour est joué ! « Je ne compte pas dormir ici, j'ai une chambre chez moi vous savez ? Et je ne veux pas dormir avec lui, vu que je vais saccager son lit dans quelques minutes… » l’œil malicieux et le sourire tout aussi taquin, je me retiens d’en rajouter sur mon concept du “ syndrome de la cour de récré “ au risque d’en énerver plus d’une. Mais je le pense toujours et, cette fois-ci à nouveau, c’est à Jamilah de prouver que cette envie de tout saccager n’est qu’un prétexte de plus à l’évidence. « Vous pouvez toujours dormir à deux sur le canapé... » je claque des fois en direction d’Ela, approuvant cette suggestion qui semble être la seule solution. Quelle coïncidence désastreuse de devoir coucher sur le même canapé, si seulement la belle ne s’était pas mise en tête de bousiller les draps du garçon ! « En plus, malheureusement, je compte dormir en amoureuse avec Ela. Donc tu n’auras pas vraiment le choix... et comme on est des copines extraordinaires, y’a pas moyen de te laisser partir après la soirée, ce serait trop dangereux ! N’est-ce pas ? » Je me tourne vers Ela, parlant d’une voix qui se veut à la fois taquine et faussement déçue que ça doive se passer comme ça. Mais à l’intérieur, je bouillonne d’excitation...

Une nouvelle fois, je perds le fil de la conversation au sujet d’un chèque ou je ne sais quoi. Je suis vraiment en retard sur pas mal de choses à ce que je vois... moi qui passais à me lamenter sur mon sort, j’aurais peut-être mieux fait de m’intéresser à ce qui se passe autour de moi. « Pourquoi je lui donnerais un chèque ? C'est plutôt à lui de m'en donner un ! Non c'est un truc pour son refuge. On en avait parlé au café et donc voilà, ça lui fera une bonne nouvelle. » je fronce légèrement les sourcils mais je n’ai pas le temps de réagir, prise de court par l’enthousiasme d’Ela : « Tu es génie, une claque puis un bisou, c'est exactement comme ça qu'il marche ! » je regarde successivement mes deux copines avant de hausser doucement les épaules « J’allais continuer mes taquineries en disant : “ Tu lui rends la vie infernale mais finalement tu lui fais quand même un cadeau ? “ comme si ça prouvait ta mauvaise fois vis-à-vis de tes sentiments, mais d’après Ela c’est approuvé donc je vais me contenter de sourire, hocher la tête et approuver aussi. » Ce que je fais aussitôt : doux sourire à peine exagéré, les sourcils levés d’un air un peu benêt, je hoche la tête dans un rythme soutenue, comme un chien sur le tableau de bord d’une voiture.

Mais l’heure n’est plus à la plaisanterie : après m’avoir énormément rassuré sur la façon dont Ravi va prendre notre mauvaise blague, je me munie d’une bombe de crème à rasé, imitant mes copines avec beaucoup moins d’assurance. Même ça, je ne suis pas sûre de savoir comment procéder ! Faut dire que je n’étais pas spécialement une fille à problème, encore moins la petite sœur qui se passionnait à emmerder ses frères. J’étais loin de tout ça et j’avais bien d’autres choses à penser, aujourd’hui je le regrette ! Pénétrant dans ladite chambre, une énergie étrange me galvanise et me donne envie de mettre mon grain de sel dans cette pagaille organisée. Je procède donc avec réflexion, cherchant le moindre endroit qui serait potentiellement le plus chiant pour lui le lendemain, tartinant exagérément de la mousse sans me soucier de l’état du sol. « Comment peux-tu être si diabolique avec un air aussi angélique ? » Je regarde Ela en rougissant, ne sachant pas vraiment si elle s’adresse à moi ou à Jamilah. Je garde un instant mes amies, regardant mes mains sales s’accrochant à la petite bombe comme si ma vie en dépendait : « J’apprends vite... » je réponds avec un sourire timide en jetant ma bombe vide dans la poubelle la plus proche. « J'aurais dû vous rencontrer il y a vingt-huit ans, mon enfance aurait été tellement plus lumineuse ! » Je regarde Ela, souriant avec tendresse à ses propos. Elle ne sait pas à quel point je partage son avis sur ce cas, ma vie aurait été bien différente si j’avais eu de telles amies pour m’épauler plus tôt. Je pense que je n’en serais certainement pas là aujourd’hui si nos routes s’étaient croisées avant...

Je ne l’avouerais jamais, mais putain que ça fait du bien de tout détruire... je comprends mieux les gens qui cassent des objets ou lancent des haches sur des cibles. C’est un loisir étrange mais qui a le mérite de vide des énergies négatives...
Enfin... pas toutes les énergies négatives : maître Baby Shark plane au-dessus de ma tête comme un démon qui ne veux pas disparaître ! « Vraiment ? Ça existe ? » Je roule des yeux en soupirant, j’aurais mieux fait de me taire je sens que je vais devenir accompagnatrice officielle pour ce concert à gerber ! « Il me semble avoir vue la pub à la télé oui... » j’avoue finalement, incapable de lui mentir. Effectivement, j’aurais peut-être dû faire passer ça pour une mauvaise blague mais c’est ainsi, je suis une très mauvaise menteuse. Je n’aurais qu’à m’en prendre à moi-même quand on se fera un road trip sur les pas du Baby Shark super star... « Du coup je ne suis pas trop sûre de vouloir savoir ce que c'est... » je tapote l’épaule d’Ela, compatissante : « Fuis, tant qu’il en est encore tant... » je pouffe de rire. Connaissant suffisamment Jam, je sais qu’on aura le droit à la musique au moins une fois dans la soirée, juste pour faire découvrir à la belle Indienne qui n’a pas encore eu la chance de se délecter de ce chef-d'œuvre...

Et par mesure de prévention, j’attrape la première robe qui me tombe sous les mains avant de déguerpir, laissant le soin à Ela de s'occuper de mon téléphone. Est-ce qu’il va vibrer énormément en recevant toutes mes notifs d’un coup ? Mes appels manqués ? Mes messages non lus et seulement réceptionnés ? Je ne sais pas. Je ne sais même pas si je préférerais qu’il reste silencieux, sans le moindre signe de vie ou preuve qu’il a essayé de me retrouver... je ne sais pas vraiment ce que je veux et j’ai l’impression, en rentrant dans la salle de bain, que je viens d’ouvrir un peu la boite qui contient ma peine. Pas question ! Tapant avec énergie des pieds comme pour me défaire de la tristesse qui commence à nouveau à m’envahir, j’enfile assez rapidement la robe qui semble tout droit sortie de “ la petite maison dans la prairie ”. Bon, j’abuse peut-être un peu, Jam a des goût de dingue en matière de vêtement et je suis chanceuse qu’elle accepte que je les porte. Pour autant, j’ai plus l’air d’une Hippie sortie de la comédie musicale “ Hair “ qu’une véritable bombe de soirée. Peut-être que dans d’autres circonstances, je demanderais à la belle de me l’a préter...

« WOW ! » Je sursaute à l’exclamation d’Ela, imliquée dans ma transformation physique comme si j’allais me marier ce soir. Si seulement. « Objectivement, ça te va bien. Mais, le but c'est que tu sois à l'aise. Essaie de voir dans les robes plus softs ? » Je suis d’accord avec elle, même si cette robe est magnifique dans son genre, ce n’est pas vraiment ce que j’aimerais porter ce soir. Je caresse un instant, perdue dans mes pensées, les broderies sur la jupe. « Je tiens à souligner, que tu ressembles à une déesse là-dedans. Comment tu peux douter que tu sois une femme sexy ? » mon visage n’est même plus rouge, il devient pivoine. Je peine à garder contenance, j’aimerais pouvoir me cacher dans un petit trou de souris et ne plus jamais en sortir, c’était une mauvaise idée. « Jam a raison, tu es digne d'une déesse dans cette tenue mais, si ça te fait trop, ne va pas te mettre mal à l'aise ! » Ce n’est pas facile de ne pas croise aux compliments quand elle s’y mette à deux, je souris alors en jouant avec les pans de ma jupe, comme une petite fille qui n’aurait pas son mot à dire. « Arrêtez de dire des bêtises, je ne vous crois pas. Mais peut-être une prochaine fois, pour le concert de Baby Shark, je la porterais ? » je suggère avec une petite voix en relâchant ma prise. On ne peut pas dire que cette robe soit moche, bien au contraire ! Elle n’est juste pas adaptée à la soirée, c’est tout... « Il me semble en avoir aperçu une rouge plus simple mais qui avait l'air très jolie. En plus, avec ton teint, le rouge doit être superbe ! » sans plus attendre, j’attrape la robe qui me suggère la belle sans vraiment réfléchir. De toute façon, je leur fais une confiance aveugle donc j’écoute religieusement sans m’opposer à quoi que ce soit...

C’est quelque minute plus tard que je fais à nouveau mon entrée dans le salon, le pas timide et les yeux baisser sur la merveille que je porte : une robe parfaitement cintrée de la taille jusqu’aux hanches, réhaussant le peu de poitrine que j’ai pour donner l’illusion que je suis bien former. Le tout agrémenter de simples bretelles dorées. La beauté de cette pièce me coupe le souffle, je caresse le buste rigide, émerveillée de pouvoir oser mettre une tenue pareille pour sortir. « Elle... elle est... » la gorge nouée, je sens les larmes me monter aux yeux, mon petit nez devenir rouge. La joie de pouvoir me sentir belle pour la première fois, la douleur de savoir qu’il n’aura jamais l’occasion de me voir ainsi. La vie est injuste et cet instant me le rappelle. Reniflant, je lève les yeux vers mes amies, une larme s’échappe de mes yeux et roule sur ma joue. « Je suis une putain de bombe. » je lâche avant de sourire, les yeux brillants d’une tristesse trop profonde et trop intense. Pourtant je le sens, j’adore ce que cette tenue me fait ressentir, même si ça revient à dire qu’il n’aura jamais la chance de me voir aussi belle.

Même si je me borne à jouer les écervelées, je suis extrêmement reconnaissante envers Ela et Jamilah. Rester toute la nuit à me morfondre devant des romans d’amour n’aurait clairement pas aidé à mon état, ça aurait forcément empiré. D’autant que je ne peux même pas me détendre convenablement, ayant dispersé mes bouquins dans deux appartements : celui de ma mère et celui de mon ex-petit ami. Un pincement au cœur me fait me crisper quand je pense à ce que j’ai laissé derrière moi, j’ai l’impression d’être une nomade qui commence une nouvelle vie. Pas de la meilleure des façons, certes, mais un nouveau départ quand même.

La preuve : je déteste les bars et autres discothèques, encore plus depuis ma récente agression, mais je fais quand même l’effort pour mes copines. Oui, rechigner à la tâche en traînant des pieds comme une gamine qui ne veux pas allez à la sieste, c’est faire un effort ! D’autant qu’elles n’ont pas eu besoin de trop me forcer, la seule idée de m’enfermer dans une pièce avec mes idées noires me donnait la nausée. Autant chasser les nuages le temps d’une nuit, on en reparlera au crépuscule...

« Je vois ton état actuel oui mais, pour le joint, je n'ai jamais essayé... »

Pas besoin d’être devin pour deviner que quelque chose me tracasse, mon teint fatigué et mes yeux fuyant suffisent à traduire ce que je n’ose dire tout haut. Il n’empêche que l’Indienne semble saisir mes propos, les corroborer même. J’esquisse un maigre sourire pour lui répondre, ne voulant pas m’enfoncer davantage. Je regrette vraiment que Jam n’ai pas de quoi me détendre ce soir...
Parler de sa rencontre avec Ravi fut un soulagement non dissimulé, je préfère largement fantasmer sur sa relation que de penser à la mienne. Pour le moment.

« Hey ! Premièrement, moi j'aurais préféré qu'il s'abstienne de s'en mêler et ensuite… J'ai failli me battre pour te protéger moi ! » je dodeline vaguement de la caboche, l’air boudeur en croisant les bras, comme si je n’avais pas entendu ses protestations. C’est toujours pareil, comme dans les livres : la belle demoiselle qui se fait secourir par un homme bad-ass et beau garçon, ils tombent amoureux et ont beaucoup d’enfants. Pourquoi ce n’est pas si simple avec moi ? Bon, quand je repense à la façon dont Nathan s’était jeté dans la cohue pour me sauver, je dois bien avouer que ça ne me laisse pas indifférente.

« Certes, mais ce n’est pas pareil... » je rechigne en tapant faussement du pieds, presque capricieuse de ne pas avoir eu la même chance que Jam. Si on peut allez ça une chance. « Je crois juste que je suis un névrosé de l’amour... Et voit le bon côté des choses, s'il ne t’avait pas sauvé, qui sais ce qui te serait arrivé après ! » Moi qui ai l’habitude de toujours penser au pire, j'ose à peine imaginer ce que ces abrutis lui aurait fait subir... Il y a des fous partout, même dans notre bel Ottawa.

« Vous avez de la chance de vivre des choses pareilles... Ma vie est toute nulle à côté ! » j’ai un petit pincement au cœur en entendant Ela, je m’empresse de lui sourire avec un clin d’œil rassurant « Tous les gangs Canadiens savent qu’il ne faut pas se frotter à toi, c’est pour ça ! Nous, ce n’est pas pareil, on a besoin de se faire secourir. Toi au contraire, t’es la Black Widow Indien ! » je fais volte-face et pointe le visage de Jam sévèrement « Je sais parfaitement que tu connais Black Widow, ne commence pas avec tes taquineries ! » je veux avoir l’air convaincante mais mon sourire me trahis, je serais une bien mauvaise mère plus tard. Mes paroles envers Ela sont sincères, je suis convaincue qu’elle saurait se dépêtrer des ennuis mieux que nous, même si je ne doute pas en l’efficacité de Jam en matière de combat. Au pire, je pourrais toujours distraire l’ennemis en faisant une roulade...?

« Tu crois que ça pourrait l'encourager ? » me demande Ela avant que Jam ne s’exclame : « Oh merde ! Ravi fumant un joint, je paierais pour voir ça ! Vous savez qu'il a voulu confisquer ma drogue quand même ? » « Et comment ça il a tenté de confisquer ta drogue ? » Venant de Ravi, je ne suis même pas étonnée. Lui qui semble si protecteur et gendre idéal, il serait prêt à tout pour remettre les gens dans le droit chemin. La preuve avec moi. « C'est sûrement un genre qu’il se donne... » je réponds pour laisser planer le doute, on ne sait jamais « Hey ! Vous pensez vraiment qu'un mec doit être drogué pour m'aborder ?! » je lève les yeux au ciel théâtralement « T’aborder non, supporter ton sale caractère oui. » aussitôt, je lui tire la langue pour qu’elle comprenne que je plaisante. Sans filtres peut-être, mais pas suicidaire. « Non, on dit juste que ça aiderait peut-être Ravi à se sortir les doigts des fesses ! » Heureusement qu’Ela est là en tant que médiatrice pour relever le niveau avec ses douces paroles car avec Jam je me croirais dans un bac à sable : je lui pique sa pelle et elle me me lance du sable dans les yeux pour se venger. Des chamailleries enfantines qui manquent à ma vie...

« Nop! Je n'ai rien pris… Et je n'irais pas en chercher, tu as déjà perdu tous tes filtres ce soir, pas besoin d'en rajouter une couche ! » Telle une enfant, je mime Jam en train de parler en faisant des grimaces avant de bouder. « Sage décision, je n'ai pas envie de finir la soirée aux urgences avec un énième mâle poignardé pour vos beaux yeux ! » J’attrape un coussin à porter de main pour faire une doublette sur Jam et Ela, un léger coup bien placé grâce à une rotation du poignet bien placée. « Gardez vos sermons, je suis sûre que vous aimez mes petits débordements ! » même si mes “ petits débordements “ comme j’aime dire sont parfois un peu borderline, ça fait du bien des fois. Du bien de dire ce qu’on a sur le cœur en se fichant des avis, notamment de mes deux amies qui ne me jugeront jamais.

Et pour remercier mes amies de leur bienveillance, quoi de mieux que raconter des bobards ? Non pas que je sois spécialement cruelle, mais j’ai envie de secouer un peu Jamilah vis-à-vis de ses sentiments. Quoi de mieux qu’une potentielle rivale pour éveiller la flamme ? Même si celle-ci n’existe que dans ma tête, ça ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de filles prêtent à jouer des coudes pour se faire remarquer du bel Indien. Il est suffisamment séduisant pour que mes mensonges deviennent réalités, autant la préparer à cela. Mais sa réaction n’est clairement pas celle à quoi je m’attendais : « C'est un peu le but de toutes les désespérées de ce soir, non ? » mon visage se tord en une moue désapprobatrice « Tu nous places aussi dans cette catégorie ? » je laisse le silence plâner avant de hausser les épaules et dodeliner de la tête « Bon dans mon cas c’est vrai que le désespoir est palpable, c’est vrai ! Mais il suffit d’une nana qui semble propre sur elle et qui plaît un minimum à Ravi pour que pfpfpfpfpf … » j’esquisse une danse des doigts sous le nez de la belle Hongroise pour imager l’idée que, si elle n’arrête pas d’être une tête de mule, le brun risque de lui filer entre les pattes.

« La pauvre... Mais Swan n'a pas tort, elle ne sera sûrement pas la seule ! » Ô Ela, si je n’étais pas aussi concentrée sur mon idée de convaincre Jam, je te baiserais les pieds. « Tiens, tu vois ? Faut admettre que Ravi est séduisant, même si mon attirance sexuelle envers lui frôle le négatif, j’ai des yeux ! » Rien que d’imaginer mon meilleur ami autrement que dans une situation purement platonique, j’ai le cœur qui se soulève. Mais faut quand même savoir reconnaître qu’il est loin d’être laid et désagréable, la rivale que j’ai inventée pour piéger la belle va certainement devenir réelle ce soir...

Des femmes désespérées peut-être... mais des hommes aussi ? Dans les bars, il n’y a que ça. Est-ce que je me laisserais approcher en ayant toujours Nathan en tête ? Peu probable, c’est déjà assez difficile de sortir de ma caverne, je ne me vois pas encore passer cette étape fatidique. Jamais. Mieux vaut se concentrer sur mon amie avant d’envisager quoi que ce soit pour moi...

« Je lui trouverais moi-même son futur plan cul si ça permet que vous changiez de sujet de conversation… » changer de sujet alors que ça me permet de ne pas penser à ma propre misère ? Jamais de la vie. Ela non plus ne semble pas l’entendre de cette oreille... « Oh je pense qu'il n'aura pas besoin d'aide, surtout s'il y a effectivement pas mal de désespérées ce soir ! »m’étonnant moi-même, je garde le silence en regardant la porte de la pièce que nous venons de saccager. « Laisse tomber, Ela. Même s’il ramenait une nana ce soir, vue l’état dans lequel on a mis sa chambre... Quoi que, si la demoiselle est vraiment déterminée à s’envoyer en l’air, je ne suis pas sûre que ça la freine. » Si comme elles disent, les femmes là-bas sont vraiment désespérées au possible, ce n’est pas de la mousse à raser qui risque d’empêcher quoi que ce soit...

Plus j’avance dans la vie, plus je constate que le karma existe. La preuve : Jam ne loupe pas une occasion de m’embêter sur mes références à la pop culture. Alors que je sais pertinemment qu’elle sait de quoi je parle... « Merde, j'ai plus de 4G et le téléphone d'Ela date des années 80…Tu vas devoir nous expliquer avec tes mots ! » bien consciente qu’elle se joue de moi, et n’ayant aucune envie d’allumer mon téléphone pour tomber sur ses messages, je lui tire la langue avant de lancer un regard de cocker à Ela. Bonté de dieu, s’il te plaît sort moi de ce pétrin ! Ton téléphone ne peut pas être si vieux que ça quand même, si ?! « J'ai mon ordinateur au pire mais il met du temps à s'allumer et Ravi n'en a pas. » je geins de façon théâtrale, comme une méchante de Disney qui vient de perdre le combat, et manque de m’écrouler de ma chaise qui penche dangereusement sur ses pieds arrière avant de se remettre correctement. « Tant pis pour vous, ça sera votre devoir pour la prochaine fois ! Et si vous êtes sage, je m’engage à me mettre du scotch sur la gueule pour essayer de lui ressembler. » ce ne serait pas sorcier après tout : savoir bien étirer la peau du visage vers l’arrière pour lisser mes pores et gonfler mes lèvres comme un bec de canard et le tour est joué ! S’il n’y a que ça pour leur faire plaisir et qu’elles arrêtent de me faire tourner en bourrique...

Heureusement pour moi, elles préfèrent parler d’un potentiel camping à trois que de s’attarder sur les taquineries. Mais je ne suis pas au bout de mes surprises... « Je n'en ai jamais fait non plus… Il faudra s'organiser ça avec les garçons… Et par garçon je veux dire "frères". Genre Julian ! » perdue dans mes pensées, je ne tilte pas tout de suite les paroles de Jam, entendant sans vraiment écouter, pianotant sur le bras de la chaise les yeux dans le vide. « Oh oui ce serait une bonne idée ! Et bien sûr, avec les "frères". » je lève des yeux perdus vers Ela, ne comprenant vraiment pas pourquoi elle appuie ainsi les paroles de Jam. Frères... Oui, Ravi c’est son frère. Pourquoi le mettre au pluriel ? Jam a un ou plusieurs frères ? Il ne me semble pas l’avoir entendu en parler... Peut-être ce Julian ? Un éclair de lucidité illumine mon faible cerveau, je me redresse vers elle, à genoux sur le siège du fauteuil qui menace de s’écrouler, jouant une nouvelle fois avec la gravité.  

« Attends attends attends, deux minutes espèce de brunette de la Hongrie ! » je pointe un doigt accusateur vers elle « Julian... un grand brun à bouclette insupportable ? » j’abuse peut-être un peu de mon rôle de petite sœur en décrivant Jul’ ainsi, mais notre relation a toujours été... délicate. De l’amour pudique qui se traduit par de la haine et des taquineries, et ce depuis toujours. Notre relation n’est pas la même que celle qu’entretien Ela avec Ravi, ce qui me rends parfois un peu jalouse. Mais notre vie n’a pas été des plus simples non plus, j’imagine qu’il en aurait été autrement entre nous si nous n’avions pas dû grandir aussi vite... non ? « Co... Comment tu connais mon grand-frère ? » je demande avec appréhension. J’ai beau avoir une confiance aveugle en Jamilah, je ne peux m’empêcher d’être inquiète pour le cadet Torres qui a souvent tendance à se mettre dans de beaux draps. Plus que moi en tout cas, même si je détiens un record ces derniers temps... ce serait-il passé quelque chose entre eux ? Même si j’imagine mal Jam dans cette position en sachant pertinemment qu’il est mon frère, elle l’a peut-être connu avant de me connaître ? Qui sais ce qui se serait passé entre eux... ça y est, je commence déjà à me faire des films. Est-ce que cela m’ennuierait ? Au-delà de l’image qu’elle veut donner, Jamilah est une fille bien... mais je connaît aussi mon frère. Histoire à éclaircir...

Pour masquer ma gêne, je préfère rebondir sur l’histoire entre Ravi et elle que de parler de mon frère. Et là je commence à piquer un peu plus fort pour obtenir une réaction... que visiblement je n’aurais jamais : « Oh qu'elles sont gentilles et prévoyantes… Mais mesdames… S'il ramène une fille, il n'y aura pas de place. Quoi qu'un petit plan à trois, ce n'est pas si mal… Mais je préfèrerais avec deux mecs plutôt que de partager avec une fille. » malgré moi, je commence à imaginer la logistique d’un plan à trois, les yeux grands ouverts, alors qu’Ela prends la parole. « En général il va plutôt chez elles depuis que je suis là. » je lance un regard vers l’Indienne, ne sachant comment rattraper sa bourde. Merde, il voit déjà quelqu’un en même temps que Jam alors ? Ou est-ce que c’est déjà terminé ? Je n’ose pas tout de suite prendre la parole, de peur d’en rajouter une couche. Ça me ressemble bien... Pas plus de deux nanas sans filtres à la fois... « D'ailleurs ça fait longtemps qu'il dort ici tout seul et je ne pense pas qu'il soit du genre à partager... » Est-ce que c’est vrai ou est-ce que la belle cherche à rattraper son erreur ? J’espère que oui, même si Jam semble se la jouer désintéressée, je n’ose pas imaginer sa réaction en apprenant qu’il s’amuse ailleurs. Car je ne suis pas dupe, je sens bien qu’elle ressent quelque chose, même si elle s’efforce à prétendre le contraire...

Pour essayer de noyer le poisson, je reprends rapidement la parole en parlant de l’orientation sexuelle de Jamilah. Un peu de légèreté... « Bien que tu sois magnifique et que j'admets volontiers le charme féminin… Je suis à trois-cent amoureuse des hommes. Une vraie hétéro ! Désolée de briser tes espoirs ! » ma bouche forme un grand “ o “ interloquée et je m’en vais lui pincer le ventre. « Merde, moi qui songeais à changer de bord, voilà que je viens de me prendre mon premier râteau... La vie est vraiment cruelle ! » « C'est normal que toutes les filles ici semble avoir tenté d'être avec des filles ? C'est une mode ou une sorte de rite initiatique ? Ou alors c'est juste dans les séries ? » je pointe un doigts mi-amusé mi accusateur sur Ela, un sourire taquin aux lèvres « " toutes les filles ici “ ? Ça veut dire que tu en fait partie ! Nous t’écoutons belle, Ela. Dis-nous avec qui tu aimerais dormir ce soir ! » pour appuyer mes propos, je lui lance un autre coussin à la figure en riant. Je ne sais pas si on peut appeler ça une amitié normale : parler d’amour, de sexe entre filles, de requins géants ou même de camping avec mon grand-frère stupide... Mais c’est le genre d’amitié dont j’ai besoin aujourd’hui...

D’ailleurs, en parlant de requin géant, il y en a un en particulier qui m’a poursuivi durant toute ma période en tant qu’animatrice : baby shark. Je crois même avoir encore des vidéos de moi quand j’effectuais la danse d’accueil pour les nouveaux arrivants. Il faudrait que je fouille dans mes anciens cartons...

« Vraiment ? On pourra en essayer ? » Ela semble beaucoup trop enthousiastes à l’idée d’enfiler un costume d’animal, moi je me souviens surtout de la chaleur à crever et de la lourdeur des panoplies. « Commence déjà par écouter la musique, ça mettra tout le monde d’accord ! » je suggère sans cacher mon désarroi. Je ne veux pas être la rabat-joie de service donc je me sens prête à lancer la fameuse musique de l’enfer après ma playlist si ça peut rendre heureuse mes copines... qu’est-ce que je ne ferais pas bon dieu ! « Et dommage pour les photos, du devais être choupette avec un aileron ! » je lève les yeux au ciel et soulève un peu ma jupe pour dévoiler le haut de mes cuisses, telle une danseuse de cabaret coquine « J'étais le requin le plus sexy de la troupe, en tout cas ! » je plaisante avant de m’envoler vers de nouveaux essayages. Cette ambiance bohème du camping resort me manque un peu, ma vie était simple et sans ratures à cette époque. Aujourd’hui je ne sais plus où je vais et j’ai l’impression de couler... couler sans objectifs. Pourtant j’ai beaucoup d’envies, mais pas le courage de les réaliser...

C’est certainement ce qui provoque ma tristesse au moment où j’essaie la robe. J’ai l’impression de ne plus être vraiment moi-même, de perdre mon identité en essayant de me raccrocher à de faux-semblants. Se mentir à soi-même et sourire pour de faux, même si j’eut l’impression que mes éclats étaient sincères... Je ne sais plus où j’en suis, je sais juste que ma tristesse a profité d’un moment d’égarement pour refaire surface. Fichus petite boite dans ma tête, la prochaine fois, je te cadenasse !  

Le regard perdu sur mes pieds nus, je me concentre pour ne pas pleurer trop fort alors que mes joues deviennent rouges. Je n’aime pas me donner en spectacle, montrer mes faiblesses en public. Pourtant j’ai l’impression que ces derniers temps je ne vis que pour ça...
Heureusement qu’elles sont là ! Le câlin groupé et spontané me redonne instantanément du baume au cœur, j’aimerais balayer cette mauvaise passe et faire comme si de rien étais, mais je sais que ce n’est pas la solution. « Je le savais… Tu avais l'air trop innocente pour être inoffensive, petite voleuse ! » un sourire triste apparaît sur mes traits, je me frotte les yeux en remerciant le ciel de ne pas être encore maquillé, quel gâchis je ferais ! « Disons que… Tu as besoin de plus de vêtements qui te mettent en valeur ! Car putain t'es magnifique. » Tellement magnifique qu’on se permet de se moquer de moi à longueur de temps... ou est-ce le destin des belles filles ? Non, mes amies ne semblent pas rencontrer ce genre de problème... « Elle est très bien mais Jam a raison, il te faut des choses qui te mettent plus en valeur, tu es vraiment superbe. » je pousse un profond soupire en caressant la courbe de mes hanches, profitant de la douceur du tissu pour me remettre les idées en place. « Je n'aurais qu’à ne plus jamais enlever cette robe... je suis sûre que Jayan serait très content de me voir travailler dans cette tenue... ». Serait-ce un signe de résilience et de nouveau départ d’espérer travailler à nouveau au BBP ? Je ne sais pas, mais envisager d’y travailler à nouveau me semble être le meilleur choix possible, même si je risque de le croiser de nouveau...

« Mais on peut parler shopping ou alors, tu peux nous expliquer ce qui te met dans cet état ? Vider ton sac une bonne fois et après on retourne à la soirée ? J'irais même me procurer un joint si ça peut te faire plaisir ! » je me laisse lourdement tomber sur le canapé en ramenant mes cheveux sur le côté. Je ne sais pas si j’ai vraiment envie de mettre des mots sur ma mésaventure, mais peut-être que les conseils de mes amies me permettraient effectivement de trouver des réponses à mes interrogations ? « Oui, ça sert à ça les amies. »

Inspire, expire...
Par où commencer ? Je n’ai pas envie qu’elles aient une mauvaise image de Nathan, mais je n’ai pas non plus envie d’avoir tort. Je m’accable déjà suffisamment d’être partie sans rien dire, même si ça semblait être la meilleure solution à l’instant T. Je regarde le plafond en silence pendant un instant avant de reprendre la parole dans un murmure : « Disons que... pour faire court. Je suis tombé amoureuse d’un garçon qui ne m’aime pas. Enfin, c’est l’impression que j’en ai... il a envoyé son père me harceler au travaille, il cherchait à savoir si je le trompais. Maintenant que j’en parle je me rends compte que c’est con, désolée... » je ferme les yeux et me masse les tempes pour essayer de remettre mes idées en place. J’ai lâché ça un peu maladroitement sans introduction, mais je n’arrive pas à faire le point sur mes émotions en ce moment...