If you touch one hair on her head... ₪ Logan Wilson

Depuis ma rencontre avec Olivia quelque jours plus tôt, j’avais cessé de me rendre au Brew Brother Pub. Je ne sais pas exactement pourquoi, peut-être pour me donner bonne conscience ? Faire confiance à Nathan pour qu’il puisse s’occuper seul de ses problèmes ? Je pourrais oui. Mais quand j’y pense, je me souviens de de toutes ses fois où il pleurait comme une madeleine car je n’ai pas su prendre les choses en main. Lui parler sérieusement comme un homme, trouver une petite amie digne de ce nom qui ne serait pas despotique, suivre sa petite amie jusqu’à son travail et passer pour un gros psychopathe. Mais je préfère passer pour un psychopathe que laisser Nathan se faire berner par une autre gamine imbue de sa personne. Jamais plus de larmes, jamais plus de douleur. Bon, quand séparation il y aura, Nathan risque de m’en vouloir à mort et de souffrir plus que de raison. Mais le temps guéris toute la blessure n’est-ce pas ? Je devrais pouvoir survivre s’il ne m’adresse pas la parole pendant quelques temps, après tout il ne m’a pas réellement parler depuis plusieurs années jusqu’à ce que notre relation devienne ce qu’elle est aujourd’hui. Ouais, le plus important aujourd’hui c’est de l’empêcher de faire une grosse bêtise. Opération éjection Swan activé ! Je pénètre dans le bar d’un pas assuré, saluant le barman avec un sourire guindé avant de m’installer et commander un whisky glacé. Je me suis bien habillé pour l’occasion, portant ce bon vieux costume trois pièces bleu marine qui me va si bien au teint. Si je dois passer le plus clair de mon temps ici, autant faire bonne impression. Je bois une gorgée du breuvage en balayant la salle du regard. Je n’ai pas pour habitude de côtoyer ce genre... d’endroit. Je n’aime pas faire le vieux proche de ses sous ou celui qui est habitué à plus de luxe, mais savoir que la demoiselle travaille dans ce trou à rat, ça met tout de suite dans l’ambiance. Je ne peux pas m’empêcher d’avoir une pensé triste pour Nathan, il mérite mieux que ça...

« Voilà la plus belle ! » je m’exclame d’un ton faussement enjoué en croisant le regard de Swan qui semble revenir de sa pause. Son sourire polis contraste avec le mien, elle m’adresse un signe de tête avant de partir prendre la commande d’une table vers le fond. Je la regarde s’éloigner plus longtemps que de raison, scrutant sa façon de parler, son air faussement enthousiaste qui semble charmer la clientèle... elle aime séduire à sa façon, souriant avec tendresse et portant toujours un mot gentil ou une blague légère pour adoucir l’atmosphère. Est-elle réellement aimable ? Peut-être bien, mais elle doit en jouer pour appâter les gros portes-feuilles, se faire de bons pourboires. Si elle travaille ici, c’est qu’elle doit vraiment avoir de gros problèmes d’argents. Est-ce qu’on peut appeler ça de la prostitution platonique ?  
« Ton copain ne serait pas très content que tu fasses du charme aux clients... »  Je lance d’un ton moqueur, prêchant le faux pour savoir le vrai, alors qu’elle s’approche du bar pour donner la commande au barman. Je suis un peu vache je sais, mais faut bien rentrer dans le vif du sujet non ? Je croise le regard du gérant à qui j’esquisse un sourire entendu avant de reporter mon attention sur la jeune femme. Celle-ci semble confuse, me scrutant un instant avant de regarder vers la salle comme un petit chat perdu. Tu ne m’auras pas avec ton air théâtral. Ça doit certainement marcher avec Nathan mais moi je ne suis pas né de la dernière pluie. Tu as beau être toute mignonne, secouer tes cheveux longs sous mon nez et battre des cils ne me fera pas flancher. J’en ai vue des plus coriaces. « Je... je ne fais pas du charme ! Ce sont des habitués, ils sont gentils... » elle rit comme si je lui faisais une mauvaise blague, glissant une mèche de cheveux derrière son oreille avant de récupérer des verres sales sur une table. « Peut-être. Mais tu devrais te méfier. Ces types-là, ils ne pensent qu’à une seule chose ! Surtout quand une jolie demoiselle leur fait des sourires. » piquée au vif, elle me regarde en fronçant les sourcils, l’air particulièrement tendue « Je ne cherche pas à séduire qui que ce soit. Je fais juste mon travail. » tu es sur la défensive... est-ce que tu as quelque chose à te reprocher ? Je bois une nouvelle gorgée sans la quitter des yeux. Les siens semblent chercher une aide extérieure pour se sortir de ce guêpier. « Tu as déjà trompé ton copain ? » son visage blêmit et elle laisse tomber le plateau de verres sales qui se rependent parterre dans un fracas. Le visage rougis de honte, Swan lance un regard désolé en faveur de son patron avant de se baisser à la hâte pour ramasser les plus gros morceaux. Ce sont des larmes que je vois perler aux coins de ses yeux ? Je pourrais être touché si je n’étais pas aussi intrigué par sa réaction haute en couleur. C’est une fille particulièrement maladroite, j’ai pu l’observer pendant ces jours à la guetter pendant son service. Mais là, suite à ma question, elle a réellement perdu pieds, comme si je venais de toucher la corde sensible. En même temps je n’y suis pas allez de main morte... elle se relève précipitamment, pose le plateau remplis de verres brisés à côté de moi avant d’essuyer une larme sauvage qui coule sur sa joue.

« Excusez-moi... » la voix enrouée, elle s’éloigne en vitesse vers l’arrière-boutique, le visage baissé dissimulé derrière ses longs cheveux noirs. Bon, ce n’est pas le premier contact, mais celui-ci était particulièrement audacieux aujourd’hui. Je réalise que je ne l’ai pas aidé, l’observant du haut de mon tabouret pendant qu’elle ramassait les débris au sol. Bon, je vais devoir contre-attaquer à son retour et possiblement m’excuser. Je hausse les épaules et termine mon verre d’une traite, faisant un léger signe de tête au barman pour qu’il m’en serve un autre.  

PDV LOGAN

Incertaine. Perdue. Ne sais pas où elle met les pieds.
C’est l’idée que je me fais de Swan en l’espace d’un quart d’heure. Même si ce n’est pas la première fois que je discute avec elle, cette-fois est différente. Je vais droit au but, je suis incisif et tranchant dans mes propos. Je pourrais avoir de la peine, mais je me mets à la place de Nathan à chaque fois que l’envie me prends de faire machine arrière. Qu’est-ce qu’il penserait de ça ? De voir Swan faire des petits sourires aux clients et s’imaginer que c’est complètement normal ? Il n’y a rien de net là-dedans, c’est des préliminaires avant le faux pas. Je sais ce que c’est, j’ai été acteur et spectateur de ce genre de théâtre avant de rencontrer la bonne personne. Il faut que je protège Nathan coûte que coûte de cette bombe à retardement. L’instabilité et le poison plane autour d’elle. Moi ? Abusif ? Si peu.  

La voir se décomposer à ma question me provoque un petit coup au cœur, aussi fracassant que le bruit du verre qui se brise au sol. Je regrette un peu d’y être allez aussi fort, j’aurais peut-être dû faire crescendo en créant une amitié, m’insinuer dans son cœur pour régler le problème de l’intérieur ? N’est-ce pas encore plus cruel d’agir ainsi ? C’est ce à quoi je pense en voyant son visage viré au cramoisie, les yeux embués de larmes avant de s’agenouiller pour réparer ses bêtises. Ce n’est pas la première fois qu’elle casse quelque chose. Elle est même reconnue comme la bête noire de la vaisselle. En va-t-il de même pour les sentiments ? J’aimerais pouvoir le dire à voix haute, mais ça serait enfoncer le couteau dans la plaie. Je l’observe d’un œil avisé, comprenant un peu pourquoi Nate est tombé sous son charme. Elle pourrait être mignonne si elle n’était pas aussi agaçante. Un petit bout de femme à l’uniforme qui souligne intelligemment ses formes. Le patron vend des boissons et des vendeuses ? C’est malsain de les obliger à s’habiller ainsi. Bon, je crache peut-être mon venin à tout va, c’est loin d’être obscène mais il en faut bien moins pour les pervers qui fréquentent ce genre d’endroit. Et je vais finir par porter cette étiquette aussi si je continue à la zyeuter comme ça. D’un bond, la demoiselle détale vers les vestiaires d’un pas décidé, me laissant seul avec le regard lourd du patron qui ne me porte clairement pas dans son cœur. Comment lui en vouloir...

« La vie privée de mes employés ne vous regarde pas. » il veut quoi Johnny Depp ? Mes yeux font la navette entre sa main ensanglantée et ses yeux qui me lancent des éclairs. Ils sont tous fous dans ce taudis. Nathan, dans quoi tu t’es embarqué encore une fois...  
Je regarde la porte que Swan a passé un peu plus tôt, très vite rejoins par un grand baraqué qui n’a pas hésité une seule seconde. Quand le chat n’est pas là les souris dansent ? « Et si jamais je vous prends une fois encore à agir de la sorte avec l'un deux ce n'est pas mon sang qui salira cette bouteille. » malgré moi, je ne peux m’empêcher de sourire en lui prenant mon verre des mains. Il essais de m’intimider ? On dirait les petites brutes du lycée qui voulaient m’enfermer dans les casiers du vestiaire pour garçons. « C'est une menace ? » Je le regarde dans le blanc des yeux sans me démonter. « Il y a quelque chose entre eux ? » je demande en faisant référence à Swan et au serveur, totalement indifférent aux paroles de l’homme en face de moi. « Je ne vais pas la violer votre gamine. Je dois juste m’assurer qu’elle ne posera pas de problèmes. Vous n’avez pas besoin d’en savoir d’avantages. » il doit avoir le même âge que moi, il est certainement père lui aussi. Il serait à même de comprendre mes motivations, mais ça ne le regarde pas. Je ne compte pas abandonner Nathan...

PDV SWAN

Je passe la porte des toilettes en reniflant, les yeux bouffis et les joues rougis par les larmes qui n’ont pas arrêté de couler. Putain, dans quel état je me mets pour un type pareil. J’ai toujours su faire abstraction de ses remarques malsaines, lui souriant poliment sans vraiment y prêter attention. Ce n’était ni le premier ni le dernier... Alors pourquoi ça fait si mal ?  
Je rejoins les vestiaires et prends le téléphone dans mon casier pour envoyer un texto à Nathan. Je devrais sans doute allez le voir après mon service, histoire de lui raconter en détails ma mésaventure. Je ne veux pas qu’il s’inquiète, mais je n’arriverais certainement pas à passer outre cet événement... je frotte mes yeux comme une enfant qui a fait un cauchemar en éteignant le petit écran trop lumineux. Heureusement que je ne me suis pas maquillé aujourd’hui, je n’imagine pas le massacre...

« Swan ? Tout va bien ? » je sursaute en entendant Ravi passer la porte du vestiaire. Sa voix douce et apaisée contraste avec les battements de mon cœur qui font du tambour. Je me frotte distraitement les yeux, espérant cacher le fait que j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps cinq minutes plus tôt. « Ne t'en fais pas, tu n'es pas la première à qui ça arrive mais Jay est toujours là pour les remettre à leur place. Tu n'as pas à t'en vouloir et tu peux rentrer si tu veux, on s'occupe du reste t'inquiètes. » je lui souris gentiment en claquant la porte de mon casier sans attendre la réponse de Nathan. Je suis en pleins service, je ne devrais pas être sur mon téléphone... les paroles de mon collègue et ami me parviennent, mais je n’ai pas envie de fuir. « Ça va allez... » je bégaie dans un Hindi approximatif en recoiffant mes cheveux en queue de cheval. « Ce n'est pas le 1er, je devrais être habitué... » alors pourquoi j’ai autant mal ? Je n’ai jamais trompé Nathan et jamais ça ne me viendrait à l’idée... mais c’est difficile quand on vous pose la question sur un ton aussi accusateur... comme s’il était persuadé que j’avais fauté, alors que ce n’est pas le cas.

PDV SWAN

Je fais un sourire à Ravi en me frottant distraitement les yeux gonflés par les larmes. Je suis contente d’avoir un ami dans ce travail où je me sens plus seule que jamais. Ok, Jayan est adorable mais ce n’est pas comme s’il voulait que notre lien employée/patron évolue. Evolue en quoi d’ailleurs ? Il est pour moi le père que je n’ai jamais eu, cette figure protectrice qui me manquait tant dans ma jeunesse, mais ce n’est pas réciproque. La preuve, il n’est presque jamais là, il se cloître dans son bureau quand je prends mon service et ne réapparaît que quand je dois m’en allez. Que dois-je comprendre ? Ravi est la seule personne avec qui je me sent en confiance... bizarre. La petite nouvelle à qui on cache visiblement pas mal de choses. Merci pour ça.  

« Hey tu progresses ! » Me félicite-t-il quand je m’efforce de baragouiner dans un Hindi bancal. Cette langue de mon enfance que j’ai pratiquement évincé de ma vie ces derniers temps. Cette part de moi-même que j’ai presque renié, ne la pratiquant qu’à de rares occasions pour donner le change. Dans ma bouche, ça fait tout bizarre. Comme si j’étais quelqu’un d’autre qui essayait de s’inventer des origines alors que je suis une enfant perdue. Sans attaches sans racines. Je ne voulais pas grandir mais je n’avais pas trop le choix. C’était ça ou sacrifier ma famille. Alors j’ai grandi. Finalement, renouer avec l’Inde sera peut-être un nouveau tremplin pour moi. Un chapitre de plus à écrire avec Nathan... Nathan ! J’ouvre la porte de mon casier pour attraper mon téléphone au moment où Ravi reprends : « Ça va le faire t'inquiètes. Prends le temps qu'il te faut, je vais vite retrouver Jay avant qu'il n'éventre notre client sur le bar... Ça ferait de la mauvaise pub. » je hoche distraitement la tête en déverrouillant mon téléphone. Mince, le SMS ne s’est pas envoyé...  

SMS : “ Coucou petit chat. Tu me manques... ça ne se passe pas bien au boulot. J’ai envie de te voir “

Un sourire béat peint sur les lèvres, je range le cellulaire sans attendre sa réponse. C’est si agréable de pouvoir fantasmer sur les éventuelles réponses qu’il m’enverra. Lui écrire est vraiment une thérapie, même à distance ce garçon me fait du bien au moral. Je réarrange ma chevelure et frotte une dernière fois mon visage rougis avant de retourner dans la scène en toute discrétion. Je reste en retrait pour contempler la scène surréaliste qui se joue sous mes yeux : Jayan qui tient en joug mon... le client désagréable en le serrant par le col d’une main ensanglantée. Mais qu’est-ce qui se passe ?

PDV LOGAN

Si je voulais, je ferais de la mauvaise pub à ce boui-boui de merde. Bon, si j’avais été sage comme une image, un client modèle, ils m’auraient peut-être mieux traité. Au lieu de ça, j’ai fait du charme à la nana de mon fils et le mafieux qui sert de patron me menace en me tenant littéralement par la peau des couilles. Bon j’abuse un peu mais putain ce qu’il est charismatique. Comment un mec aussi dérangé peut-il faire croire qu’il est bien dans ses baskets ? L’espace d’un instant, dans son regard, je vois de la fureur, une envie de meurtre déraisonné. Quel est la flamme qui t’anime ? Toi, monsieur le dangereux patron du bar ?  

« C'est vous qui n'avez pas besoin d'en savoir plus. » je hausse les sourcils, l’air un peu stoïque. Tu sembles particulièrement à fleur de peau au sujet de ta jeune serveuse. Pour quelle raison ? Est-elle logée à la même enseigne que les autres ou y’a-t-il un truc que je ne sais pas encore ? Peut-être sa petite sœur ou sa nièce aux vues de la ressemblance flagrante dû au teint et aux cheveux noirs. Mais je ne voudrais pas faire de généralité, ça ne veut rien dire. Il est juste particulièrement protecteur. Un peu comme je le suis avec Nathan, est-ce une piste ? Je ne peux pas rester sur cette fausse note, mais je ne suis pas suicidaire au point de poser les mauvaises questions. Je me contente alors de sourire d’un air suffisant sans le quitter des yeux, l’impression d’avoir appris suffisamment pour ma petite enquête du jour. Heureusement qu’il était là finalement ! C’est sans compter sur son super héros de fils (ouais j’ose faire des généralités finalement, ils se ressemblent tous ici on dirait un atelier clandestin) qui s’interpose pour calmer le jeu. « Alors vous allez tranquillement finir votre verre puis vous allez quitter les lieux sans faire d'histoire. Mes employés sont respectables, c'est tout ce que vous avez besoin de savoir. » je hoche la tête en finissant mon verre de whisky d’une gorgée. Mon dieu Nate, dans quelle famille tu t’es fourré encore ? Je croyais qu’à force de chuter, tu ne ferais pas les mêmes erreurs... Si seulement ta mère était là. « Merci pour l’accueil fort agréable ! » je cantonne d’un air enjoué en posant une liasse de plusieurs centaines de dollars sur le bar avec un clin d’œil « Vous donnerez ça à la petite. Dites-lui que c’est comme... une façon de lui présenter mes excuses ! » Je pousse la liasse vers le Johnny Depp de Wish avant de m’éloigner, lui adressant un signe de tête respectueux avant de quitter les lieux. La pauvre doit être chamboulée, un bon pourboire devrait lui redonner du baume au cœur.

QUELQUES JOURS PLUS TARD

« Salut Sugar Sammy ! » je chantonne d’un air enjoué en m’attablant face à l’homme qui m’avait menacé il y a à peine une semaine. Oui, je ne tiens pas à la vie, le comparant à un célèbre humoriste d’origine Indienne. « Rassure-toi, je ne suis pas venue ici pour faire des histoires. Je suis juste venue discuter... »   j’y suis allez plus intelligemment que l’autre fois, prenant garde à ce que Swan ne soit pas en service pour pouvoir discuter avec son drôle de patron. Il faut que j’éclaircisse certains points à son propos et que j’obtienne une espèce de “ passe-droit “ pour le bien de Nate. Il n’y a que lui qui compte. « Je sais ce que tu dois te dire, que je ne suis qu’un pauvre fou pervers qui ne doit pas beaucoup tenir à la vie pour se repointer l’air de rien ! C’est peut-être vrai... sauf pour le côté pervers. Par contre je suis totalement fou... ça oui... » je me tourne vers le serveur de l’autre fois qui doit suivre notre conversation d’une oreille « Tu peux nous servir deux verres de ton whisky le plus cher, garçon ? » je lui fais un grand sourire avant de reporter mon attention sur le grand qui fait peur. « Le truc c’est que... comment vous expliquer … j’ai un fils, il s’appelle Nathan. Il n'est pas très fute-fute mais c’est un bon gamin. Et ce qu'il y a c’est qu’il est raide dingue de la petite demoiselle avec ses grandes mèches noires là. Euh... Sandrine ? Bref... j’ai besoin de.... De m’assurer qu’elle ne va pas lui briser le cœur. Moquez-vous si vous voulez, mais si vous avez des enfants vous devriez savoir ce que c’est... d’essayer de protéger ceux qu’on aime. » rolalalala je touche la corde sensible. Par contre je ne sais pas sur quel pied danser, oscillant entre les vouvoiements et les tutoiements. Une vraie tache.  

Point de vue Swan

Je contemplais ce spectacle surréaliste de loin. Petite âme à l’écart de la cohue, la main serrée contre l’encadrement de la porte et à demi-cachée par celle-ci, j’étais invisible. Je voulais me faire oublier, me mettre à courir et espérer que personne ne me retienne. Juste, ne pas être associée à celle qui attire tous les malheurs du monde. Parce que, malgré moi, j’ai l’impression de les accumuler. Eternelle victime de la vie ou justicière aux multiples injustices ? Je ne sais pas, mais je commence à en avoir assez d’être toujours la petite chose fragile qu’il faut secourir. Mes yeux se perdent sur la main ensanglantée de Jay qui luis dans la lumière des spots, provoquant un long frisson dans ma nuque et mon ventre. Je sais qu’il n’est pas de ceux qui blessent par plaisir, mais c’est si douloureux de le voir dans cette position, comme une bête prête à s’abattre sur sa proie. Même s’il n’y est pas allé de main morte, l’inconnu ne mérite pas un tel châtiment. J’ai presque pitié de lui en le voyant se frotter à mon patron, l’air impassible et presque... amusé ? Serait-ce l’ombre d’un sourire qui se dessine sur ses traits ? Qui est cet homme qui semble se jouer de la mort avec autant de légèreté ? Je ne dis pas que Jay serait prêt à le tuer, mais son regard brille d’une férocité que je ne lui connaît pas. Je travaille ici depuis peu mais j’ai l’impression de redécouvrir l’homme qui me semblait si doux et posé lors de notre première rencontre. On a tous une part d’ombre, moi la première que je tente tant bien que mal de dissimuler, mais celle qui m’apparaît sous les yeux est... dérangeante. Comme si je faisais face à Venom prêt à avaler la cervelle d’un méchant. Je suis peut-être juste extrêmement dramatique aussi...  

Je croise les bras sur ma poitrine pour réprimer un nouveau frisson au moment où l’homme décide de quitter les lieux. Je le regarde s’éloigner, m’appuyant sur le chambranle de la porte pour ne pas m’écrouler. Cet homme est soit complètement fou soit suicidaire, mais je ne sais pas pourquoi, il m’intrigue. Tout chez lui semble animé d’un quelque chose... il se pavane comme un maître prêt à conquérir d’autres royaumes, celui qui ne faibli jamais face aux plus puissants. Vais-je seulement te revoir un jour ? Les sourcils froncés et le regard perdu vers la porte qu’il vient de passer, je me laisse emporter par un flot de réflexions désordonnés. J’aimerais bien partir et retrouver Nathan, me fondre dans ses bras pour être pleinement en sécurité. Car il n’y a que comme ça que je suis vraiment sûre de pouvoir tenir le choc. Mais il y a d’autres priorités à l’heure actuelle, et même s’il est extrêmement tentant de plier bagage pour s’offrir un petit jour de congé, c’est mal me connaître que de penser que je pourrais quitter le navire sans culpabiliser. The Show Must Go One comme dirait l’autre...

« Je suis vraiment désolé pour tout ça Swan... Il ne devrait plus revenir t'embêter et il a laissé ça pour toi en guise d'excuses. Si tu veux rentrer ou prendre une pause, n'hésites pas, ce ne sera pas décompter de ta paie. » je sursaute un peu, n’ayant pas entendu mon boss arrivé face à moi alors que je me laissais engloutir par des pensées désaccordées. C’était pénible d’avoir le cerveau en surchauffe, de vouloir explorer toutes les possibilités à certains événements, j’ai tendance à perdre la cour de la réalité et à phaser. Habilement adossée en équilibre contre le bois, une jambe légèrement repliée derrière moi, comme quand je m’étirais avant de danser, je lève mes yeux vers lui mais ne desserre pas les bras. Je me crispe un peu en sentant sa main chaude et intacte se poser sur mon bras, je paraît si frêle à côté de lui. Manque d’activité physique oblige, sautant parfois les repas plus par choix que par manque de moyens, j’ai l’impression que je vais finir par m’écrouler si on me souffle trop fort dessus. Une vraie petite cabane de paille que le grand méchant loup pourrait détruire en un coup. Mais ce n’est pas qu’impressionnant, ce contact est aussi terriblement réconfortant. L’impression que le soleil m’englobe de ses rayons après avoir passé la journée sous la pluie. Je frissonne plus violemment, presque un spasme vu l’ampleur du mouvement, et baisse les yeux sur ses doigts qui caresse ma peau. Aucun sous-entendu lascif sur ce contact, il ne me touche pas comme quelqu’un qui voudrais plus qu’une relation patron/employé. C’est d’ailleurs ce qui me bouleverse le plus, cette sensation intime et familière, cette sensation de sa peau contre ma peau qui provoque un éboulement sur mon cœur. Pourquoi tu me fais ça ?

« N'hésite jamais à me prévenir ou à prévenir Ravi si ça venait à arriver à nouveau. » J’aimerais pouvoir dire quelque chose, mais les mots sont restés bloqués au fond de ma gorge. Je me contente alors de sourire d’un air entendu en hochant la tête, consciente et prête à agir autrement la prochaine fois. J’en ai assez d’être vue comme la demoiselle en détresse, celle qui ne sais rien faire d’autre que de pleurer. Pleurer car les souvenirs sont trop douloureux, car les traumatismes sont toujours présents, à vif sur ma peau. Bref, j’ai craqué et je ne sais même pas pourquoi. L’impression que cet inconnu remettait en cause tous mes principes fondamentaux ? Tel que la fidélité, l’amour, les valeurs inculqué par ma famille. L’idée même de tromper Nathan me retourne l’estomac, ce n’est même pas envisageable. Voilà pourquoi... ce n’est pas mon genre, et j’ai tellement peur de tout faire foirer que je réagis à chaud, sans réfléchir. Tout ça parce que quelqu’un me met les deux pieds dedans. Je suis si aguicheuse que ça avec les clients ? Peut-être bien finalement...
Jay retire sa main, et je me sens si seule à présent. Le contact si chaud que provoquais sa main sur ma peau est à présent absente. J’ai froid. Mais je vais me remettre au boulot. Parce que c’est la meilleure décision.

« Je retourne à ma paperasse, tu sais où me trouver au besoin. » je le regarde s’éloigner vers son bureau, le cœur lourd d’une déception que je n’explique pas. Je baisse les yeux sur ma main entre-ouverte, y découvrant une liasse de biais qui doit bien convenir l’entièreté de mon salaire du mois. J’ai les yeux comme des soucoupes juste au moment où Ravi s’approche avec le même sourire qui le caractérise. Quel adorable garçon...

« Il est dingue mais au moins il est généreux. » générosité mal placé ou sous-entendu morbide ? Je ne sais pas trop quoi penser réellement. Mais cet argent commence à me brûler la paume à mesure que je la garde en main. « Et ne t'en fais pas, je pense qu'il a compris la leçon. » quelque chose me fait penser le contraire. Je lui souris gentiment en m’excusant qu’il ait dû nettoyer mon bordel à ma place et retourne à mon travail. Mais avant, je décide de partager le pactole de monsieur le millionnaire avec tous mes collègues, divisant la somme en parts égales que je glisse dans les bocaux à pourboire de chacun, faisant exprès de m’oublier bien évidemment. Je n’aime pas qu’on me fasse de la charité !

Point de vue Logan  

Je pense que je suis fou. C’est ce que ma défunte femme aurait certainement dit de moi. Ou du moins, je suis très obstiné. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose en soi, se battre pour ce qu’on veut et ceux qu’on aime. Il y a quelques années en arrière, je ne sais pas si j’aurais eu le cran d’agir ainsi. En tout cas pas avec la bête qui sert de gérant à ce bar aux allures douteuses. Je tiens à la vie, mais depuis que Nate y a fait irruption, je ne sais plus trop comment agir. Je mets clairement mon existence entre parenthèses pour ce gamin qui n’est même pas de moi. Moi, l’éternel solitaire qui n’aime personne. Personne en dehors de lui-même. Ce n’est pas la corde que je me suis passé autour du coup, c’est tout l’échafaud. Mais on dit souvent qu’on déplacerait des montagnes pour ses enfants, j’en fait clairement l’expérience en bravant la mort pour ses beaux yeux. Tu serais franchement fière de moi, Nathan ! Je suis un peu comme le super héros dont tu me rabâches souvent les oreilles. Sauf que je n’ai pas de capes et que mon super pouvoir c’est d’amadoué mon adversaire avec mon argent et un peu d’alcool. Finalement, même avec le cœur remplis de guimauve, le bon vieux Logan Wilson est encore bien présent.

« Docteur Malcolm... » amusé de lui taper sur les nerfs, je le provoque un peu avec une légère révérence et en reboutonnant un bouton de ma veste. « Au diable la politesse, appelez-moi seulement maître. » je réponds avec un air amusé en m’installant face à lui sans en attendre l’autorisation, croisant les pieds sur son bureau comme le ferait un adolescent. Ou un richard fortuné qui n’en aurait que faire des bonnes manières. J’aime bien voir les choses de cette façon. Et je m’amuse de voir l’étincelle de rage s’illuminer dans le regard de mon interlocuteur, comme un jeu auquel on s’amuse et qui nous pousse vers nos plus sombres travers. Tom & Jerry réunis dans une même pièce. Quelle ironie. Je sirote le verre que m’a apporté son commis avec gourmandise, toujours très friand de ce genre de breuvage ayant macéré depuis plusieurs années. Je retiens d’ailleurs une petite pique en faveur de l’Indien, dans le style : ” Vous êtes du genre à aimer les femmes comme ce whisky non ? Sèche et âgée “ mais je n’ai pas envie de finir avec un coquart. J’ai l’impression de revenir aux années lycées, quand j’observais les plus populaires s’envoyer des fions et amuser la galerie. Serait-ce une revanche que je suis en train de prendre sur ma jeunesse ? Y’a des chances.

Pour apaiser un peu l’atmosphère, je décide d’ouvrir le bal et d’expliquer clairement mes intentions envers la brunette. Je n’exige pas qu’il pardonne mon comportement de grand coquin, j’espère juste qu’il comprenne et m’autorise à mener l’enquête comme je l’entends. Evidemment, je n’ai pas l’intention de recommencer les mêmes frasques que l’autre fois. J’avoue y être allez un peu fort, trop vite dans le tas sans préliminaires. J’aurais dû en faire mon amie, l’obligée à se comporter avec moi comme elle se comporte avec les autres clients. Gagner sa sympathie pour qu’elle se confie à moi, car il va de soi qu’on a plus facilement tendance à confier ses déboires à de parfaits inconnus. Même si l’idée de copiner avec elle ne me plaît guerre, je suis motivée par l’envie d’éviter à Nathan un énième désastre amoureux. Le pauvre gosse en a assez bavé, il est encore si jeune et pourtant résonne comme un vieillard ahuri et naïf. Je suis sûre que, si elle était encore parmi nous, sa maman comprendrait ma démarche. Pas sûre qu’elle accepterait, mais elle comprendrait. Il faut bien que quelqu'un agisse ! Pour essayer de toucher la corde sensible, je lui parle donc de Nathan et de mon envie de lui éviter une énième déception amoureuse. Après tout, il a quoi ? Même pas 50 ans ? Il semble suffisamment vieux pour avoir lui aussi des enfants et comprendre cet instinct protecteur qui nous pousse à faire des folies. Je n’en reviens pas moi-même de cette énorme folie que je suis en train de réaliser.

« C'est fort louable en effet. » Malgré son ton posé, je n’ai pas l’impression d’avoir gagné la partie pour autant. J’enlève mes pieds du bureau et me redresse légèrement vers lui, prêt à écouter ce qu’il a à me dire. « Seulement il me semble que traumatiser la petite demoiselle n'était peut-être pas la meilleure démarche et je doute d'ailleurs que votre fils adhère à cette méthode... » je ricane légèrement en l’écoutant. Visiblement, malgré son ton paisible et sans hostilités, il semble particulièrement perturbé par la situation. Ou est-ce une fausse impression qu’il essais de donner ? Est-ce qu’il essais de me faire passer pour le méchant de l’histoire ? « Ne vous inquiétez pas pour mon fils, il est pleinement conscient de ce qui se passe. Et il sait que c'est une simple mesure de sécurité. Il vaut mieux être prudent quand on sait que, là où la petite demoiselle passe, il y a toujours une catastrophe... » je soutiens son regard, pas mécontent de mon petit coup de poker. Bon, ok, Nate n’est peut-être pas au courant de ce que je fais et, effectivement, pas sûre qu’il cautionne forcément tout de suite. Mais ça, le Johnny Depp d’Amazon qui me fait face n’est pas obligé de le savoir. Qu’importe ce petit mensonge, il n’est pas un obstacle dans ma mission. Puis ça me permet aussi de contrecarrer chacun de ses arguments, le fameux “ ne cherche pas, j’ai réponse à tout”. Par contre, est-ce que je suis allez trop loin dans la provocation en disant clairement que la jeune Swan foutait la pagaille là où elle posait les pieds ? Il suffit de voir le résultat de la soirée karaoké pour comprendre qu’il y a quelque chose qui coince. Peut-être qu’elle fait partie d’un gang et que ça s’est terminé en règlement de compte... je n’ai pas envie d’imaginer le pire maintenant.

« Mais je comprends, je sais ce que c'est et dans quel extrême cela peut nous conduire. Permettez-moi néanmoins de vous dire que ce ne sont pas les défauts potentiels de Swan qui risquent de briser son cœur mais les défauts de leur relation. Aussi parfaits puissent-ils être, nous ne pouvons rien faire s'ils ne sont pas compatibles et il me semble donc que vous luttez vaillamment contre des moulins à vent... » je dissimule un sourire moqueur derrière mon verre en avalant une gorgée de plus. « Vous devez être sacrément heureux en ménage pour affirmer de tels propos avec autant de véhémence ! » Ce qu’il peut m’énerver avec son air de grand sage et ses paroles à la maitre Yoda. Il est l’archétype même du vieux bobo avec sa petite famille parfaite et son golden retriever qui s’appelle Oscar. Retenez-moi, je vais vomir. J’avoue avoir été inspirée par ce mode de vie, mais depuis sa mort je n’y crois plus vraiment. C’est pourquoi “ l’ange Swan ” est un présent trop beau pour être vrai pour mon Nathan.  

« Quoi qu'il en soit, si cela peut vous rassurer, Swan est une fille bien malgré ses maladresses. Elle n'a pas eu une vie facile et à traverser bien plus d'épreuves que les autres filles de son âge sans jamais flancher. Comme nous tous, elle n'est pas parfaite mais elle fait de son mieux et elle est fidèle à votre fils dont elle semble très amoureuse. » je penche la tête sur le côté avec intérêt, touché par ce qu’il me dit. Mais par pour les bonnes raisons. « Excusez-moi, c’est une réunion parents-profs ? J’sais pas hein, mais votre ton solennel et vomissant à faire pleurer dans les chaumières, c‘est extrêmement intime, même pour un patron. » je le regarde en fronçant les sourcils, exagérant exprès la pression de mon regard sur lui pour essayer de déchiffrer la montagne d’énigme sous mes yeux. Il y a anguille sous roche entre ces deux-là ou c’est moi qui fabule totalement ? Si c’est le cas, ça serait aussi répugnant qu’une aubaine pour moi.  

« Autre chose ? » est-ce qu’il est entrain de m’inviter à prendre congé ? Oui, mais non. Je n’en ai pas fini et je compte bien sortir de ce bureau avec quelque chose. Même si ça risque d’être une côte en moins. « Ce n‘est pas de l‘amour. » je reprends, la voix plus calme et plus grave qu’auparavant. « C’est de la manipulation. Quand on tombe sur quelqu’un de trop gentil, quelqu’un sur qui on peux exploiter un potentiel qui va au-delà de l‘attachement physique... » je regarde mon verre, puis lui d’un air désolé « Je sais que c’est difficile, mais aujourd’hui dans notre société... on peut faire croire ce que l’on veut à qui l’on veut. Je sais que ma démarche peut paraître malsaine, j’en ai conscience. Mais j’essaie de protéger mon fils, car j’ai un mauvais pressentiment... les coïncidences, ça n’existe pas... » là, ça passe ou ça casse. Mais j’espère que j’arriverais à toucher l’âme de ce père, si toutefois il a réellement des enfants.