Il avait tergiversé pendant tout le vol sans parvenir à trouver la bonne formulation. En même temps comment revenir après une si longue absence ? Comment trouver les mots pour justifier ce trop long silence ?
Hey, c'est papa était un peu léger...
Je suis votre père trop cliché et... Et il n'avait rien d'autre en tête. Lui le grand malin de la bande, celui qui regorgeait toujours d'idées extraordinaires était à cours de mots. Plus les heures défilaient plus il avait envie de fondre dans son siège, de disparaître pour de bon. Lui le grand téméraire, celui qui avait toujours foncé en avant des autres, celui qui retombait toujours sur ses pattes... Que cette époque lui semblait lointaine à présent.
Une fois sur le tarmac, il n'hésita pas longtemps, il ne pouvait décemment pas se pointer comme une fleur dans cette maison achetée il y a plusieurs années
"au cas où". Peut-être qu'elle avait refait sa vie avec un autre, peut-être l'avaient-ils tous oublié... Il était mort après tout, officiellement du moins. Jayan Thakur, mort et enterré sur sa terre natale... Surprise ! Nerveusement, il avait prit son téléphone et composé le numéro qu'il connaissait toujours par cœur, numéro précieux qu'il ne pouvait pas oublier.
Le numéro que vous demandez n'est pas attribué.Bien sûr qu'elle avait changé de numéro, c'était une évidence... Dans un soupir, il raccrocha puis composa le numéro de la ligne qu'il avait faite installer dans la maison. Une ligne sous un faux nom, comme celui du propriétaire qu'il avait inventé de toute pièce grâce à ses nombreux contacts. Entre les amis de son défunt père et ceux qu'il s'était fait entre temps, il avait toujours été bien entouré et ça lui avait été d'un grand secours quand il avait dû quitter le pays en catastrophe il y a de cela cinq ans à présent. Cinq ans, que le temps passe vite...
Le numéro que vous demandez n'est pas attribué.Étrange... Ou peut être pas, pourquoi aurait-elle conservé la ligne après tout ? Il avait payé les factures tous les mois pourtant ? Ou peut-être que non, il avait fait confiance à son comptable, lui n'avait rien pu toucher pour éviter de les mettre en danger. Aucun contact, aucune nouvelle, il n'avait même pas pu se renseigner, même pas pu veiller de loin... Ni sur eux ni sur sa chère et tendre sœur qu'il allait aussi retrouver bientôt. D'ailleurs, elle fut le troisième numéro qu'il composa, le cœur encore en vrac de ses échecs précédents.
« C'est toi ? »Demanda la voix fébrile à l'autre bout du fil. Un numéro inconnu, une heure indue, qui d'autre ? Il sourit malgré lui, son âme apaisée de retrouver cette voix si chère à son cœur, au moins une.
« Quel autre abruti pourrait t'appeler à une heure pareille ? »S'amusa-t-il, se laissant tomber sur un des bancs inconfortable de l'arrivée des bagages. Il n'en attendait pas pourtant, il n'avait rien pris avec lui, il avait tout laissé comme à son habitude...
Old habits die hard à ce que l'on dit mais il ne voulait plus de tout ça, plus de changement de nom, plus de fuite, de mensonges, juste sa famille et une vie normale.
« Où es-tu, j'arrive ! »S'enthousiasma-t-elle, le faisant sourire un peu plus. Il imaginait déjà les étoiles dans les yeux de sa cadette, il se voyait déjà la soulever du sol comme il l'avait si souvent fait jadis... Elle était sa vie, tout comme ses enfants... Enfants qu'il n'était sûrement pas prêt de revoir d'ailleurs... Nouveau coup de poignard, son sourire qui s'affaisse un peu.
« Je suis à l'aéroport tu... Tu n'as pas eu de nouvelles ? »Il n'avait eu de nouvelles de personne après son départ, ni de sa sœur, ni de sa femme et encore moins de ses amis, même pas du comptable qui avait des ordres bien précis pour les années à venir. Par précaution, il avait acheté une maison confortable à Vancouver pour sa femme et ses quatre enfant, faisant de même pour sa sœur, les fameux
Au cas où qui s'étaient malheureusement avérés fort utiles... Sa cadette avait opté pour la banlieue de Vancouver elle aussi, dans l'espoir de tout reprendre à zéro à son retour, comme ils l'avaient toujours fait.
« Aucune non... » Répondit-elle après un silence clairement désolé.
« J'ai pensé qu'il était plus prudent de disparaître aussi au cas où ils remontent jusque'à moi... » Avoue-t-elle, trop habituée à ce genre de situation. Ils avaient tous les deux grandit dans la pègre, ils connaissaient les risques, les pièges à éviter, c'est comme ça qu'ils avaient pu survivre aussi longtemps. Un nouveau soupir s'échappe des lèvres de l'homme alors qu'il ferme les yeux pour retenir quelques émotions fort mal à propos.
« Tu as eu raison, merci. »Il ne pouvait rien dire de plus, qu'y avait-il de plus à dire de toute façon ? C'est au tour de la femme de l'autre côté de la ligne de soupirer et un silence étrange s'installe. Lui fixe les valises qui tournent devant lui, elle sa voiture toujours garée dans l'allée. Que faire ? Que dire ?
« Tu veux que je vienne te chercher ? » Proposa-t-elle enfin, soudainement perplexe.
« Je ne suis pas très loin. »S'empressa-t-elle d'ajouter comme s'il s'agissait d'un argument de poids.
« Il est tard Rosie, je vais prendre un taxi ne t'en fais pas. »La voix tendre du protecteur, le sourire du grand frère qui revient sur ses lèvres. Si elle savait comme elle lui avait manqué...
« Hors de question, j'arrive. »Il ne savait que trop bien qu'il n'avait pas le choix ce qui créa un léger rictus au fond de sa gorge. Il n'eu pas le temps de répondre qu'elle avait raccroché, sûrement déjà dans sa voiture comme la gazelle qu'elle devait encore être malgré les années.
Rosie... Il n'avait jamais cessé de l'appeler ainsi bien qu'ils aient maintes fois changé de nom.
A rose by any other name would smell as sweet certes, mais sa Rose sera toujours sa Rose et on ne pourra pas le lui ôter.
⁂ ⁂ ⁂ ⁂« Tu as collé un mafieux derrière les barreaux deux fois, je suis sûre que tu vas les retrouver. »Le rassura-t-elle de sa voix douce, espérant que ses paroles apaisent un peu l'âme tourmentée de son aîné. Il était arrivé depuis plusieurs jours mais il n'avait toujours pas réussit à retrouver sa femme et ses quatre enfants. Ils n'étaient pas dans la maison qu'il avait acheté pour eux, ni dans les parages, pas dans la ville même sans doute... Les faux papiers qu'il leur avait procuré n'avaient jamais été utilisés, les comptes en banque étaient intacts, rien n'avait bougé, il n'y avait pas la moindre preuve.
« Ce n'était peut-être pas facile mais lui, au moins, il ne faisait pas le mort... Elle n'a rien touché, pas un centimes sur les comptes des enfants, ils n'ont jamais ouvert la porte de la maison, je ne sais plus où regarder. Même les passeports que j'avais fait faire n'ont jamais servit... Voiture vendue le jour de mon départ, une somme conséquente sortie du compte que j'avais ouvert pour elle le soir même puis plus rien. Je ne trouve les enfants dans aucune école, aucune activités, aucun avion... »La tête entre les mains, les yeux explosé par trop de recherches vaines sur son ordinateur, Jayan ne savait plus quoi faire. Il était arrivé depuis plusieurs jours, logeant chez sa sœur qui avait refusé qu'il s'installe dans le box qu'il avait loué (sous un faux nom) pour les quelques affaires qui lui tenaient à cœur comme les photos de ses enfants, les films de leurs premières aventures, l'album de son mariage... Il n'avait jamais été matérialiste mais il n'avait pu se résoudre à détruire ces morceaux de sa vie.
« Tu as cherché aux États-Unis ? Peut-être qu'elle a traversé la frontière par sécurité ? »« Je n'ai pas autant de contact que papa alors c'est un peu plus long mais j'ai des amis sur le coup. »« Des amis d'amis hein ? »S'amusa-t-elle, cherchant à lui remonter le moral. Entre les anciens contacts de leur père dans la mafia et ses origines Indiennes, Jayan pouvait être un vrai cliché parfois. À sa décharge, il est originaire d'une communauté très solidaire où que ce soit dans le monde et ce détail avait toujours amusé sa sœur. Où qu'il aille, le fait de parler Hindi et d'être né en Inde faisait qu'il pouvait se faire des "amis" comme il aimait à les appeler. Venaient ensuite les amis d'amis, moins proches mais tout aussi serviables, un réseau à part entière et presque aussi efficace que les contacts moins fréquentables de leur défunt père.
« On fait ce qu'on peut avec ce qu'on a. »Répondit-il avec un petit sourire. Il n'avait peut-être pas grand-chose pour le moment mais il ne comptait pas lâcher de si tôt, jamais. Même s'il avait abandonné les siens pendant cinq ans, il espérait pouvoir rattraper le temps perdu, reprendre les choses où ils les avaient laissé. Bien sûr, il n'était pas naif et se doutait que ça allait être long et fastidieux mais il était motivé, plus que jamais même, surtout quand il s'agit de sa famille.
⁂ ⁂ ⁂ ⁂Il lui avait fallut des mois pour les retrouver. Assez de mois pour en faire deux années. Il n'avait pas cherché au bon endroit, il n'avait pas eu la force... Un acte manqué ? Peut-être un peu... Après tout, comment pouvait-il revenir maintenant, après tout ce temps passé sans donner de nouvelles ? Il avait été un père cliché, celui qui prétend devoir aller acheter un paquet de cigarette et qui ne revient jamais... Monstre. Sa sœur avait eu beau lui répéter qu'il n'avait pas eu le choix, que c'était pour les protégé, qu'ils comprendraient, rien ne pouvait le rassurer.
Une fois encore, il avait passé tout le trajet entre Vancouver et Ottawa à cogiter, à retourner des millards de fois dans sa tête la meilleure façon de reprendre contact. Un texto ? Impersonnel. Frapper directement à la porte ? Impétueux. Envoyer une lettre ? Inutile. Même une fois dans cette ville qui ne lui était pas familière, il avait hésité, restant dans le petit hotel qu'il avait réservé à chercher encore et toujours comment faire.
Il s'était souvent garé devant l'appartement, guettant la silhouette de cette femme qui le hantait toujours, espérant croiser ses enfants, juste pour voir comme ils avaient dû grandir. Son cœur se serrait à chaque fois que quelqu'un passait à proximité, créant d'incessant ascenseurs émotionnels qui le troublaient plus encore. Il voulait les voir autant qu'il le redoutait, triste paradoxe.
C'est en voyant sa fille un jour que le courage lui était revenu. La douce Swan était devenue une magnifique jeune femme mais le sourire triste sur son visage lui avait retourné l'estomac. Elle semblait fatiguée, trop sérieuse pour une personne de son âge, il ne pouvait pas rester les bras croisés à ne rien faire... Il n'eu néanmoins pas le courage de la rejoindre, conscient du traumatisme que cela pouvait créé. Il devait d'abord parler à sa femme, à la mère de ses enfants, il devait s'excuser et regagner doucement sa place bien qu'il ne la mérite sûrement plus.
Armé d'un bouquet de ses fleurs préférées, il l'avait attendu à la sortie de son travail, le cœur au fond de la gorge et le cerveau en fusion. Il n'avait pas encore trouvé les mots, il craignait le pire. Malin oui... Conscient de son échec.
La voir fut à la fois le plus terrible des coup de poignard et la plus agréable des visions... Toujours aussi belle malgré son air fatigué, toujours aussi sensuelle malgré les années et les épreuves. Il avança d'un pas timide avant de se retrouver crucifié sur place par un simple regard noir et un coup d'épaule alors qu'elle lui passait devant, accélérant le pas.
« Tu sais où tu peux te le mettre... »Marmonna-t-elle entre ses, assez fort pour qu'il l'entende quand même. Largement mérité mais il ne pouvait pas lâcher maintenant, pas si près du but, il l'aimait toujours. Le fait qu'il commence à la suivre la fit ralentir un peu mais elle ne s'arrêta pas.
« Ça risque d'être douloureux, même sans les épines. »Opter pour l'humour ? Faire comme si de rien n'était ? Sûrement pas la meilleure technique mais il était acculé et ne voulait pas être lourd. Hors de question qu'il se jette à genoux devant elle, hors de question de faire une scène, il savait qu'elle n'apprécierait pas plus de toute façon. Perdu pour perdu.
« C'est le but... »Rétorqua-t-elle toujours sans se retourner mais encore un peu plus doucement, les larmes commençant à rendre sa progression difficile. Lui aussi était ému bien sûr, les larmes brûlant doucement le coin de ses yeux alors que sa gorge était de plus en plus nouée.
« Lo siento mucho querida... »Commença-t-il, n'ayant rien oublié de cette langue qu'il avait apprise pour elle. Elle qui avait apprit quelques mots d'Hindi pour lui bien que l'anglais reste leur langue commune et celle qu'ils parlaient avec les enfants... Ils avaient été si heureux à l'époque, ils s'étaient tant apporté l'un l'autre.
« ¡¿Lo siento ?! ¡¿Lo siento hey ?! Yo pienso que fue muerto ! Querida, ¡¿Cómo puedes decir eso ?¡ »S'en suivirent quelques noms d'oiseaux bien mérités alors que la tornade espagnole revenait vers lui d'un pas décidé pour lui arracher le bouquet des mains avant de lui jeter à la figure. Une chance qu'il fut bien emballé bien qu'une épine vint légèrement entailler sa joue avant que les fleurs ne s'écrasent lamentablement sur le sol. L'homme ne dit rien, restant de marbre (physiquement) face aux éclats de voix de cette femme passionnée qu'il aimait toujours autant. Finalement, quand il sentit qu'elle s'épuisait, il attrapa ses mains sans tenter de se rapprocher de trop.
« Lo siento... Je n'avais pas le choix... »Dit-il d'une voix calme bien que tremblante d'émotion. Ses yeux étaient humide, trahissant l'émotion que la tempête avait créé en lui. Tant de haine.... C'était peut-être justifié mais ça ne rendait pas les choses plus facile à encaisser.
« Pas le choix ? Et la protection de témoin c'est pour les chiens ? Tu aurais pu fuir avec nous et laisser ce cabron à la justice ! Tu avais le choix et tu as choisi la vengeance ! »Aboya-t-elle avec une rage non contenue et tout aussi justifiée. Touché, elle avait parfaitement raison, quel con...
« La justice ne peut rien contre ces hommes... »« Alors il a fallut que le grand chevalier sur son beau destrier se précipite à la rescousse pour sauver le monde en abandonnant sa famille ! Tu ne vaut pas plus que lui... » Coup de poignard encore plus violent que tout les autres réuni, le cœur du vaillant chevalier se brise et une larme coule enfin sur sa joue, Dieu comme elle avait raison...
« Désolée mais mon mari est mort en Angleterre il y a des années. Il s'appelait Jai Bennet... Et lui non plus n'a jamais été le père de mes enfants d'ailleurs. » Lança-t-elle, le mettant définitivement à mort alors qu'il ne pouvait dire un seul mot.
« Je préfère cette version de l'histoire. »Cracha-t-elle avant de se libérer de son étreinte pour tourner les talons, repartant à vive allure malgré les larmes qui coulaient toujours sur ses joues brulantes. Le message était clair : Il était mort à ses yeux et devait le rester.... Ne plus les voir, disparaître à nouveau dans l'ombre. Jayan le victorieux hein ? Une victoire coûteuse puisqu'il avait tout perdu...
⁂ ⁂ ⁂ ⁂« Décidément, pour quelqu'un qui est né dans un pays où la prohibition est toujours d'actualité tu t'es bien rattrapé ! »S'amusa Rosie en entrant pour la première fois dans le pub que son frère avait acheté peu après s'être installé à Ottawa. Une fois sa famille retrouvée, il n'avait pas perdu de temps, achetant une maison en banlieue pour plus de discrétion et un business pour noyer sa tristesse. Bien qu'il soit effectivement originaire d'un
"dry state", Jayan buvait occasionnellement, vie en Angleterre oblige. Il avait néanmoins grandit dans le respect des traditions de sa famille biologique, souhait de son père adoptif qui avait insisté pour qu'il est une nounou Indienne qui lui parle Hindi et pour qu'il puisse aller au temple comme le faisait sa famille. Il n'avait néanmoins aucun souvenirs de l'Inde où il n'avait fait que naître, ses parents retournant rapidement en Angleterre (où son père travaillé depuis l'adolescence) pour lui offrir une vie meilleure.
« Tu sais que je ne fais pas les choses à moitié. »Sourit-il, faisant le tour du comptoir pour aller enlacer sa petite sœur. Elle n'avait pas hésité longtemps non plus, quittant la banlieue de Vancouver pour rejoindre son ainé à Ottawa. Il faut qu'il lui avait proposé une belle opportunité en lui offrant la co-gestion de l'affaire et ils s'étaient trop manqués pour rester si loin l'un de l'autre. En réalité, ils n'avaient jamais été séparés aussi longtemps et ça avait été une réelle torture, aussi bien pour l'un que pour l'autre.
« Et c'est pour ça que je t'aime bhaaii. »Répondit-elle simplement, enfouissant son visage au creux de l'épaule de son aîné. Deux inséparables que la vie n'avait pas épargné.
⁂ ⁂ ⁂ ⁂Bien sûr, il avait assisté au spectacle de sa fille, le filmant avec attention comme tout bon père qui se respecte. Tout du long, il avait presque eu la larme à l'œil tant il était fier de voir la magnifique princesse qu'elle était devenue. Elle avait tout de l'élégance de sa mère, ses gestes félins sur la scène, cette aisance... Il était réellement fier d'elle et regrettait amèrement de ne pas pouvoir aller la prendre dans ses bras pour la féliciter après la performance.
Fantôme veillant sur ses enfants de loin, il s'était néanmoins rendu à la sortie des artistes pour s'assurer qu'elle sorte heureuse, que tout aille bien. Il avait agit de la sorte depuis trois ans, ombre invisible à leurs talons, meurtrit de ne pouvoir faire plus. À sa grande surprise, il n'était pas le seul à guetter la sortie et il eu tout le loisir d'observer le jeune homme nerveux qui attendait devant la porte. Même de loin, il semblait relativement raisonnable, tenue respectable, attitude plutôt timide, humble. Cela ne voulait pas dire que Jayan le voyait d'un bon œil mais il préférait tout de même un jeune homme comme lui à un "mauvais garçon" trop sûr de lui comme il avait pu l'être dans sa jeunesse.
Sans un mot, il observa la scène qui suivit, sceptique de la voir d'abord si fâchée puis étrangement soulagé de les voir se rapprocher. Malgré l'inquiétude, il tourna les talons dès qu'elle fut dans ses bras, les laissant à leur romance en espérant qu'il soit quelqu'un de bien cette fois. La dernière expérience de Swan l'avait rendu malade, d'autant plus qu'il n'avait pas été là pour la protéger... S'il avait pu... Il aurait dû être là d'ailleurs, une preuve de plus qu'il ne méritait clairement pas sa place à leur côté... Monstre, père indigne...
De retour chez lui, il s'empressa de faire quelques recherches sur le jeune homme qui, par chance, utilisait les réseaux sociaux. Il lui fallut la nuit pour le retrouver, usant de ses amis d'amis pour s'aiguiller. Nathan Jesse Carter, notaire... Ça sonnait bien sur le papier, orphelin mais visiblement assez stable, pas de psychanalyse, pas de casier judiciaire, permis de conduire, diplômes... Un gars bien visiblement hors il ne comptait pas en rester à des peut-être, pas maintenant qu'il pouvait veiller sur elle plus efficacement.
Quelques jours plus tard, Jayan décida donc de faire un sauf à l'office notarial où travaillait le jeune homme, juste histoire de se faire une idée. Pas de rendez-vous, une visite impromptue. Il se doutait que le jeune homme allait être différent au travail que dans la vie mais ce serait un bon aperçu sans doute.... Il n'avait pas le choix de toute façon.
« Bonjour monsieur, puis-je vous aider ? » Coup de chance, c'était lui qui l'avait accueillit à l'entrée, lui offrant une belle opportunité de le voir de plus près. Assez charmant bien qu'un peu gringalet...
« Je n'ai pas rendez-vous mais on m'a conseillé votre office, je souhaite rédiger un testament. »« Vous êtes effectivement au bon endroit. Mon rendez-vous m'a posé un lapin, je peux vous recevoir tout de suite si vous avez un peu de temps ? » Il s'était retenu de dire que le fait qu'on pose un lapin à un garçon comme lui ne le surprenait pas vraiment... Réflexe de papa protecteur sans doute, il s'était donc contenté de mordre sa langue et de lui offrir un beau sourire.
« C'est très gentil de votre part, je veux bien. »Les deux hommes s'installèrent dans le bureau de droite, l'un d'eux ignorant que chacun de ses mouvements étaient attentivement analysés. À première vue, il semblait sérieux et posé, le genre de gendre idéal mais peut-être un peu trop pour être honnête... Avec le temps, Jay avait appris à se méfier des apparences qui l'avaient de trop nombreuses fois trompé.
« Alors, dîtes moi tout que je puisse vous proposer la meilleure solution. » « Et bien c'est à la fois très simple et très compliqué... » Admit-il, décidant de profiter de l'occasion pour vérifier que tout soit en ordre dans les papiers déjà fait depuis plusieurs années.
« J'ai quatre enfants mais, en vue du travail dangereux que je faisais à l'époque, je ne les ai pas reconnu. J'aimerai m'assurer que tout ce que je possède leur revienne en part égale malgré tout. En sachant que je suis marié à leur mère bien que cette dernière ne porte pas mon nom. »Simple et compliqué oui, c'était le moins que l'on puisse dire. Le notaire ne se démonta pas pour autant, n'hésitant pas longtemps avant de répondre, un sourire rassurant peint sur le visage. Il avait un regard doux, celui de quelqu'un qui se soucie réellement de son prochain... Pas mal de bon points pour le moment.
« Je ne suis pas spécialiste en droit familial mais il me semble qu'il n'y a pas d'âge limite pour reconnaître vos enfants, avec ou sans l'accord de leur mère et sans même avoir besoin de leur dévoiler votre identité. Dans tous les cas, nous pouvons effectivement rédiger un testament pour stipuler les parts que vous souhaitez leur léguer. Avez vous signé un contrat de mariage ? Cela peut faciliter les choses car il est en général fait mention du cas où des enfants naissent. » Il savait aussi de quoi il parlait ce jeune homme... Sérieux donc, attentif... Mais c'était peut-être juste au travail après tout ? Jay joua le jeu, restant néanmoins vague sur les détails et obtenant la confirmation qu'il avait fait les bonnes procédures à l'époque. Après presque une heure de bavardage administratif, il quitta l'office relativement soulagé par l'impression laissé par le dénommé Nathan Carter. Cela n'allait pourtant pas l'empêcher de le garder à l'œil de loin, juste histoire de...
⁂ ⁂ ⁂ ⁂Le pub marchait bien, lui offrant des finances stables bien qu'il n'en eu pas besoin. Par zèle, il avait engagé deux barmen plutôt efficaces qui lui permettaient de ne gérer que la partie administrative avec sa sœur, appréciant néanmoins d'être sur le terrain tous les deux. Ainsi donc, il était derrière le bar au moment où des cris se firent entendre ce soir là. Comme toujours, il surveillait la salle un verre de Whisky à la main, s'assurant qu'il n'y ait pas de débordement et que tout le monde passe un bon moment. Ce n'était visiblement pas le cas dehors où les bruits devenaient plus inquiétants... Il faut dire que la boite de nuit d'à côté brassait une clientèle plus jeune et plus alcoolisée ce qui n'aidait pas.
Les serveurs lui lancèrent un regard inquiet alors que les clients semblaient à peine dérangés par la rixe qui commençait à devenir plus agressive devant les portes. Ni une ni deux, Jayan était dehors, prêt à en découdre si le besoin s'en faisait sentir. Bien qu'il soit pacifique, Jay était doué au corps à corps et il n'avait jamais cessé le sport ce qui lui offrait une carrure conséquente en plus des coups bien sentis qu'il savait donner... Il n'hésiterait pas, il n'hésitait jamais quand il s'agissait de défendre des innocents, alcool ou non.
La scène était brouillonne et l'obscurité ne la rendait pas plus lisible... Deux groupes de jeunes gens imbibés qui se criaient dessus, deux autres jeunes qui semblaient extérieur à l'histoire et qui tentaient vainement de calmer le jeu. Les cris venaient des filles qui se tiraient les cheveux dans un combat qui semblait presque plus acharné que celui des garçons... Qui avait tort ? Qui était coupable ? Cela n'avait pas vraiment d'importance, il fallait juste que cela cesse.
« Ça suffit ! »Lança Jay de sa voix glaciale qui avait fait mourir de peur plus d'une personne à l'époque. Il était plus grand que la plupart d'entre eux, plus costaud aussi mais ça ne semblait pas leur suffire puisque rien ne cessa... Il entra donc dans la mêlée, en sortant sans trop de mal après quelques coups à peine, un peu de chaque côté, contrôlés pour ne pas mettre qui que ce soit à l'hôpital. Les deux groupes se dissipèrent rapidement mais les deux garçons qui avaient tenté de s'interposer étaient encore là et l'un d'eux regardait Jay avec de grands yeux... Bien sûr, il savait pourquoi, il l'aurait reconnu même dans la nuit la plus noire, même les yeux fermés : son fils, l'aîné des trois pour être exact. Comment le savait-il ? Facile pour lui, il connaissait leurs traits par cœur malgré les années et la distance, il savait les différencier sans la moindre hésitation et sans jamais faire erreur. Jay aurait voulu fuir, disparaître dans la nuit en espérant que son fils pense qu'il n'était qu'une illusion de l'alcool ou d'un coup trop violent à la tête hors il n'en était pas capable, il n'avait plus la force de fuir...
« Papa ? »Demanda simplement le jeune homme à mi-mot, épuisé par son combat et parfaitement choqué par cette rencontre inattendue. Il avait toujours été le plus optimiste vis-à-vis de son père, celui qui l'avait toujours admiré malgré tout, qui avait toujours défendu son départ en affirmant qu'il avait sûrement eu une excellente raison de partir. Chance ? Coup du destin ? Dur à dire mais Jay était à court de mot et son corps entier tremblait d'émotion. Il baissa tristement les yeux, passant une main nerveuse dans sa nuque, ignorant comment réagir. Un silence s'installa dans la rue, étrange contraste avec la bagarre précédente, gênant et lourd à la fois... L'ami s'écarta de quelques pas, laissant les deux hommes face à face dans l'incertitude.
« Je savais que tu reviendrai... » Souffla finalement le jeune homme, se jetant dans les bras de son père en faisant fi des doutes, de la colère ou de l'inquiétude.
« Je suis tellement désolé... » Murmura Jay, serrant son fils très fort contre lui, les yeux clos pour retenir les larmes d'émotion qu'il sentait poindre. Nouveau silence, ému cette fois, moins gênant bien que toujours étrange.
« Entrez, on va nettoyer tout ça. » Ajouta simplement l'homme, faisant allusion aux quelques blessures que les jeunes avaient obtenus dans leur tentative de rétablir la paix. Comme si de rien n'était... Mais que dire ? Puis à quoi bon faire ça dans la rue au lieu de rentrer à l'abri des regards dans le confort du bureau caché à l'arrière du pub. Ils entrèrent tout trois, traversèrent le pub puis entrèrent dans cette belle pièce au murs couverts de bois. Ambiance British jusqu'ici, chaleureux, ancien mais confortable. Les garçons se posèrent sur le sofa rouge foncé pendant que Jay cherchait le kit de secours que sa sœur avait tenu à installer. Sage décision finalement.
« Vous avez été courageux dehors, une chance qu'ils n'aient pas été armés. »Faire la conversation car il ne savait pas quoi dire, il ne savait pas comment emmener le sujet, surtout face à l'autre jeune homme qui n'avait rien demandé à personne. Savait-il seulement qui il était ? Connaissait-il un peu leur histoire ? Il prépara des compresses avec un peu d'antiseptique qu'il leur tendit, adressant à son fils un sourire tendre et triste à la fois, plein de fierté et d'excuses qu'il ne savait pas exprimer. Jay n'avait jamais été doué avec les sentiments, il n'avait jamais réellement su les exprimer avec des mots, il était un homme d'action.
« Une chance surtout que tu sois arrivé pour les corriger avant qu'ils ne les dégaine... » Corrigea son fils, sûrement à raison. Jay avait d'ailleurs aussi prit un coup, sa pommette légèrement rosie. L'ancien mafieux avait connu tellement pire qu'il n'avait pas senti la douleur, puis plus rien n'avait d'importance maintenant.
« J'aurais dû être là avant. » Allusion évidente à leur histoire, regard entendu, nouveau silence.
« Tu m'as toujours dit que nous n'étions pas maître de tous les éléments de notre vie mais qu'il fallait en tirer le meilleur... Tu ne pouvais sûrement pas être là avant, ce n'était sûrement pas à toi d'en décider, je suis sûr que tu as fais ce que tu pouvais. »Jay était un homme spirituel qui croyait au destin, au fait qu'aucun obstacle ne nous était imposé sans raison et qu'il fallait toujours les affronter en étant la meilleure version de nous-même. Il avait sûrement fait une erreur en refusant de fuir à l'époque mais il avait fait tout ce qu'il avait pu pour protéger sa famille, pour mettre un monstre derrière les barreaux une bonne fois pour toute... Karma, il payait difficilement le prix de ce choix en surveillant ses enfants de loin, en ne pouvant être qu'une ombre protectrice au dessus de leur tête. Un jour peut-être, sa dette Karmique sera payée et il pourra reprendre sa place. Peut-être même aujourd'hui ? Un petit pas pour le Karma mais un immense pas pour lui qui ne pouvait que remercier le ciel de lui avoir envoyé ce fils en premier, le seul qui était capable de le pardonner, c'était un signe aussi sans doute, ça ne pouvait qu'être cela.
Dans tous les cas, sans réellement s'en rendre compte, le jeune homme était passé à l'Hindi, langue qu'il avait partagé avec son père pendant son enfance, sorte de retour aux sources rassurant. Son ami ne comprenait pas la langue mais il ne semblait pas plus choqué que cela, se contentant de tamponner en silence la petite plaie au coin de sa lèvre. Jay lui lança un regard désolé avant de sortir un billet de sa poche et de lui tendre avec un sourire.
« Va te prendre un verre, c'est amplement mérité. » Suggéra-t-il, ne notant pas l'air émerveillé du garçon qui pouvait se payer bien plus d'un verre avec un tel billet. Après un regard interrogateur à son ami qui lui répondit par un signe de la tête, le garçon disparut, laissant le père et le fils dans un nouveau silence.
« J'ai retrouvé l'article... » Commença le jeune homme une fois qu'il fut sûr qu'ils étaient seul, toujours en Hindi.
« L'homme que tu avais fait arrêter, celui qui a été libéré... J'en ai parlé aux autres mais ils n'ont pas voulu me croire, maman avait une toute autre version... » Admit-il. La vérité étant que, suite à cela, il avait collectionné tous les articles concernant cette affaire, ceux de la première arrestation et ceux de la seconde, cherchant désespérément une preuve que son père était encore en vie et sur le dossier, quelque part à jouer au justicier de l'ombre. Ses frères s'étaient moqués de lui, sa sœur avait fait un black-out complet et leur mère... Leur mère ne voulait plus en entendre parler et elle n'était plus en état de toute façon... Le jeune homme baissa les yeux tristement, repensant à toutes ces nuits passées sur internet à espérer, à ses tentatives vaines de convaincre la fratrie, à ses peurs. Jay posa tendrement une main sur son épaules, les yeux de nouveau trop humide.
« J'aurais dû vous en parler de vive voix mais... Moins vous en saviez mieux c'était, je ne pouvais pas lui laisser la moindre opportunité de remonter à vous et je devais faire vite. » Expliqua l'ancien policier d'une voix calme bien que vibrante d'une émotion difficile à cacher. Il marqua une pause, l'air soudain sceptique... Il n'avait pas oublié, pas vraiment en tous cas.
« Votre... Votre mère ne vous a jamais montré la vidéo ? » Demanda-t-il bien qu'il se doutait de la réponse et qu'il s'était aussi douté à l'époque qu'elle ne serait jamais visionnée. Le fils fronça les sourcils, cherchant dans sa mémoire au cas où mais rien, pas de vidéo, même pas la mention d'une... Il secoua doucement la tête, questionnant son paternel du regard.
« Avant de partir j'avais enregistré deux vidéos, une pour les dix-huit ans de Swan et l'autre pour vos dix-huit ans. Quelques mots pour vous expliquer la situation si jamais je n'étais pas revenu d'ici là, pour m'excuser... » Il avait laissé les vidéos sur une clef USB déposée dans le coffre d'une banque à Vancouver où il avait également placé du liquide en différente devises, d'autres passeports et deux autres vidéos : une pour sa femme et l'autre pour la police au cas où il lui arrive quelque chose. Cette dernière contenant un compte-rendu détaillé de l'affaire, toutes les preuves qui pourrait faire accuser le mafieux s'il ne pouvait pas le faire tomber avant d'y passer. Tout prévu, Jay avait absolument tout prévu à part le cas où sa femme ne mettrait pas les pieds dans cette banque pour y prendre les vidéos... Elle était entré pourtant, il avait espéré qu'elle ait copié les vidéos mais rien visiblement et il savait que tout était resté en place dans le coffre suite à sa visite.
« Maman... Maman nous a dit que tu avais disparut sans rien dire et elle est toujours restée très évasive à ton sujet. Nous avons déménagé quelques jours après ton départ, changeant de nom dans la foulée. Soit disant, elle voulait que nous reprenions son nom de jeune fille, que tu ne puisses pas nous retrouver après ce que tu avais fait... Les autres y ont cru mais pas moi, je savais que nous portions déjà son nom, que Torres était peut-être le nom de quelqu'un de sa famille mais pas vraiment le sien... On était jeune, on a suivi sans trop se poser de questions. » Admit le jeune, baissant de nouveau les yeux, désolé de ne pas avoir pu faire plus.
« Après avoir retrouvé l'article quelques mois plus tard, j'ai fait des recherches sur l'enquête, sur ce qui c'était passé à l'époque, sur ce qui se passait et je... Je me suis dit que tu devais être là bas, que tu devais chercher à le remettre en prison... » Expliqua-t-il, relevant les yeux vers son père avec un petit sourire qui semblait lui aussi désolé bien qu'un peu plus fier. Au moins il avait tenté.
« J'ai aussi trouvé ton nom dans la rubrique nécrologique... Mais je savais que ce n'était pas vrai, tata ne l'aurait jamais fait publier en Angleterre, elle ne l'aurait même sûrement pas fait publier du tout, tu n'aurais pas voulu d'une grande cérémonie de toute façon... » Ajouta-t-il, la gorge serrée d'émotion au souvenir de ce moment terrible. Il avait beau dire, le doute l'avait hanté pendant longtemps...Se convaincre que c'était faux avait prit du temps et, en réalité, il n'y avait cru qu'à moitié jusqu'à ce soir. Jay serra un peu plus sa main sur l'épaule de son fils, laissant échapper un petit rictus à la fois amusé et terriblement fier des capacités de déduction de son fils. Lui aussi aurait été un excellent inspecteur.
« Tu me connais trop bien. » Sourit-il, le regard brillant alors que son fils avait relevé le visage vers lui.
« J'ai effectivement dû mourir pour qu'il me laisse tranquille, une petite cérémonie avec quelques anciens collègues de la police. Terrible accident de voiture, des flammes tout ça, aucun corps à enterrer malheureusement. » Expliqua-t-il avec un petit sourire malicieux. Il n'avait pas fait les choses à moitié pour être sûr que le mensonge passe et ça avait été le cas puisqu'il avait pu agir dans l'ombre sans soucis suite à cela.
« J'ai fait en sorte de renaître d'entre les morts avant de pouvoir revenir, je ne voulais pas changer d'identité une fois encore, je peux arrêter de fuir maintenant. »« Ça n'a pas été trop compliqué ? » Demanda le jeune homme, ne cachant plus son admiration ni sa curiosité.
« Il a fallut que je prouve être encore en vie et que je graisse quelques pattes mais c'était l'histoire de quelques jours et de quelques papiers. » Il exagérait à peine, merci les amis d'amis et les anciens contacts de son père, toujours prêts à aider malgré les années. Les deux hommes discutèrent encore pendant un long moment des aventures du plus âgé qui ne cacha rien, pas cette fois. Son fils était aujourd'hui assez grand pour entendre toute l'histoire, même les côtés les plus sombres. Après tout, Jivan n'avait pas honte de ses origines, il n'avait pas honte non plus de ce qu'il avait fait pour son père adoptif ou pour le parrain qui l'avait remplacé. Il n'avait pas eu le choix, la vie de sa sœur en dépendait... On ne choisit pas les obstacles qui se mettent sur notre chemin, on ne peut que choisir la façon de les surmonter, on ne peut que tenter de faire de son mieux quelle que soit la retombée.
« Tu... Tu vas revenir ? »
Demanda finement le garçon, ignorant encore que son père était de retour depuis trois ans sans pouvoir les voir. Jay était resté vague sur cette partie, il ne voulait pas donner le mauvais rôle à sa femme qui avait également fait ce qu'elle pouvait, ce qu'elle pensait être le mieux pour eux...
« Je ne peux pas, pas après autant de temps... » Bien que l'atmosphère se soit allégée pendant qu'il lui racontait sa vie, elle était soudain retombée et il ne put que baisser les yeux, cherchant le meilleur moyen de lui dire sans trop le blesser.
« Votre mère a préféré que je reste mort à vos yeux et je peux la comprendre, vous avez traversé trop de choses par ma faute, je n'ai pas le droit de revenir comme si de rien n'était. »Neutre, vrai, c'était le mieux qu'il puisse dire. Le garçon fronça les sourcils, peu convaincu. Il aimait son père, pourquoi les autres ne pourrait pas le comprendre tout comme lui le faisait ? C'était injuste !
« Ta vie n'a pas été plus facile que la notre ! Tu n'es pas parti pour le plaisir comme maman a voulu nous le faire croire ! Pourquoi devrais-tu payer pour avoir fait de ton mieux pour nous protéger ? Pourquoi n'aurions nous pas le droit de rattraper le temps perdu !? Nous avons besoin de toi, maman aussi d'ailleurs... Elle... Elle n'est plus elle-même depuis ton départ. »Jay savait. Il ignorait le pire malheureusement, ne pouvant apercevoir que le sommet de l'iceberg de là où il se tenait. Un soupir franchit ses lèvres alors qu'il secouait tristement la tête.
« Je sais Adit mais tu sais que je ne peux m'opposer à son souhait. » Adit, surnom qu'il lui avait toujours donné, le premier né. Le garçon baissa de nouveau les yeux, soupirant en secouant la tête à son tour.
« Papa... Elle n'est vraiment plus elle-même il... Il faut l'aider je... Je pense qu'elle va finir par faire une bêtise... »Après un bref silence, le jeune homme se décida à tout dire de leur histoire, de ces longues années passées sans lui, de la chute vertigineuse de cette femme pourtant si forte, des épreuves traversées par ses enfants... Jay sentait son cœur se briser à chaque mot, retenant péniblement les larmes qui se faisaient plus insistantes. Le Karma avait raison de le punir, il avait créé un enfer pour ses enfants, il les avait jeté dans un monde atroce dont il aurait pu les protéger s'il avait prit une meilleure décision... Quel monstre. Incapable de parler, il se contenta de prendre son fils dans ses bras, le serrant très fort dans l'espoir qu'il puisse sentir tout ce qu'il ne savait pas dire.
« Attends. » Finit-il par dire après une grande inspiration pour se calmer un peu. Il se leva rapidement puis ouvrit un tiroir de son bureau dont il sortit une pochettes claire.
« Depuis votre naissance, vous avez des comptes que j'alimente tous les mois et j'avais aussi ouvert un compte pour votre mère au cas où il m'arrive quelque chose. Il y a assez sur ce dernier pour lui payer une cure de désintoxication et vous avez assez sur vos comptes pour vous payez des études dignes de ce nom. Je... Je vais voir pour vous trouver un logement plus décent, laisse moi quelques jours. » Expliqua-t-il, reprenant sa place sur la chaise qu'il avait avancé devant le canapé. Il tendit la pochette à son fils, le visage déformé par l'émotion bien qu'il parvenait assez bien à la retenir. Le garçon le regardait toujours, il avait suivit tout ses mouvements à la fois sceptique et plein d'admiration. Comme il aurait aimé que son père revienne dans leur vie.
« Et ? »Simple petit mot qui voulait tout dire et Jay l'avait bien compris. Il soupira de nouveau, passant une main sur son visage pour tenter de remettre ses idées en place.
« Adit... Je ne peux pas décemment frapper à votre porte comme si de rien n'était, pas après tout ce que je vous ai fait subir... Essayons d'abord de sortir votre mère de là puis j'aviserai. Tu sais où me trouver maintenant. »C'était autant une affirmation qu'une supplique, il n'était pas prêt à revenir dans la vie de ses enfants en les sachant si mal... Il voulait d'abord arranger les choses à distance, réparer ses erreurs puis prendre le temps de revenir correctement. C'était sûrement idiot mais son cœur lui conseillait la patience. Le garçons soupira une fois de plus mais il comprenait le raisonnement de son père et accepta la manoeuvre. Il fit tout pour pousser sa mère en cure, rendit souvent visite à son père au pub puis chez lui. Ensemble, ils se mirent en quête d'un logement idéal pour la famille, pour un nouveau départ. Adit voulait prendre un peu de temps, être sûr de leur choix, faire au mieux pour la fratrie aussi. Discrètement, doucement mais sûrement.
⁂ ⁂ ⁂ ⁂« Jayanbhaee, Jayanbhaee ! »S'écria l'homme qui venait d'entrer dans le pub comme une fusée, dérapant presque alors qu'il atteignait le bar. Assez petit, il était visiblement d'origine Indienne lui aussi et le fait qu'il enchaine en Hindi ne pouvait que confirmer cette idée.
« Tu... Tu m'as demandé de te prévenir si j'avais quoi que ce soit... » Expliqua-t-il, à bout de souffle. Jay restait de marbre, ignorant encore ce qui pouvait transcender son ami à ce point. Derrière le bar, il nettoyait un verre en attendant le départ des derniers clients qui n'allait sûrement pas tarder. Ses retrouvailles avec son aîné dataient de quelques jours à peine, il commençait à peine à voir la lumière au bout du tunnel, maudit Karma...
« C'est Swan Jayanbhaee... Elle est à l'hôpital. » Le verre s'écrasa brutalement sur le sol, tout comme le cœur du pauvre Jay qui venait de se briser une fois de plus.
« Il y a eu une bagarre... » Commença-t-il, toujours à bout de souffle. Il n'eu pas le temps de finir que Jay avait littéralement sauté par dessus le bars, prenant la direction de la sortie. L'homme tenta de le suivre mais ce n'était pas simple dans son état et en vue de l'allure vive du père inquiet...
« Demande à Rosie de fermer. » Dit-il simplement avant de quitter les lieux en claquant la porte. Ni une ni deux, il était à l'hôpital, bénissant sa moto qui lui avait permis de s'y rendre en quelques minutes seulement. À l'accueil, il demanda Swan Torres et fut rassurer d'apprendre que ce n'était pas trop grave. Il s'arrangea pour payer tous les frais, demandant à la jeune femme de l'accueil de dire à Swan que la mutuelle avait tout pris en charge. Par chance, il était tard et la secrétaire était sûrement fatiguée, préférant accepter ce deal plutôt que de faire de la paperasse à cette heure. Il n'osa pas passer par la chambre de peur d'être aperçu, se contentant de retourner au bar pour aider sa sœur à fermer.
Peu après avoir retrouvé son fils, il avait eu une conversation avec l'ancien patron de Swan, lui demandant de lui faire un virement assez conséquent sous prétexte d'une rupture conventionnelle. En réalité, il voulait simplement lui donner un peu d'argent sans qu'elle sache que cela venait de lui... Moyennant une petite somme, le patron avait accepté, permettant ainsi à Jay d'offrir un peu d'aide à sa fille en attendant que son aîné trouve le moyen de leur parler des comptes.
Aujourd'hui, Jay et son aîné cherche encore l'endroit idéal pour leur famille et l'ancien policier continue à veiller sur ses enfants à distance. Peut-être qu'un jour il aura payé sa dette mais, pour l'instant, il patiente sagement en attendant le moment opportun...