Dansons tout haut ce que l'on ne peut dire tout bas ࿓ Jules Brown

Une rencontre au pub, un dîner au restaurant, et maintenant, un autre dîner, avec une soirée dansante. Était-ce les premières étapes d’une potentielle relation ? Je ne savais pas. Je ne savais pas si je voulais le voir comme ça. Après le désastre de ma dernière relation, compte tenu du fait que je n’étais jamais parvenue à m’attacher à qui que ce soit, je ne voulais pas me faire de fausses idées. Pourquoi avais-je accepté de le revoir de nouveau alors ? Parce que j’en avais envie. Juan n’était pas le seul avec qui j’avais échangé pendant que j’étais en service au pub. Sans vouloir me vanter, je savais que certains avaient eu envie précédemment de me demander de se voir en d’autres circonstances. Certains l’avaient même demandé. Parfois en état de le faire, parfois, après avoir ingurgité un peu trop de courage liquide. Pourquoi avais-je accepté cette fois-ci ? Parce que justement, ça me semblait si facile, si naturel de lui parler. Le sentiment était resté plus tard dans la soirée, et malgré un petit incident avec un verre de fin et une chemise qui avait pris cher, tout s’était déroulé pour le mieux. Et sa proposition pour ce soir, je n’avais pas pu la refuser, au final. Non seulement pour passer du temps en sa compagnie, mais aussi parce que j’aimais la musique latine. J’avais eu la chance, quand je travaillais dans le tourisme - ce qui me semblait être dans une autre vie - de passer une semaine dans les Caraïbes pour représenter mon entreprise, et j’étais tombée amoureuse de la culture et tout ce qui l’entourait. J’étais consciente que ce ne serait qu’un aperçu, probablement timide, de ce que j’avais pu vivre sur place, mais il n’en demeurait pas moins qu’il me faisait plaisir de renouer avec ce que je considérais être d’excellents souvenirs. Puisque c’était ma journée de repos, j’étais demeurée plutôt tranquille. Lever tardif, un détour à la salle de sport, un peu de rangement et c’était l’heure de me préparer. Comme tenue, j’avais opté pour une petite robe noire. Est-ce que c’était trop ? Peut-être que oui, peut-être que non. Je ne saurais pas le dire et pour être honnête, je m’en moquais. Au pub, j’étais beaucoup trop souvent vêtue d’un jean, d’un pantalon noir. Rares étaient les fois que je pouvais me permettre d’être un peu plus coquette. Et puis, pour danser, c’était mieux, à mon avis. Cheveux défaits - j’avais trop tendance à les porter en chignon ou en queue-de-cheval au pub - et maquillage simple, je ne me rappelais pas la dernière fois que j’avais pris le temps de tant me préparer avant une soirée. À la fois, ça me faisait sentir vivante, mais c’était troublant en même temps. Pourquoi ? Je n’eus pas le temps de me le demander; le temps de retrouver Juan était maintenant venu, et il avait choisi d’être ponctuel. C’était tout à son honneur. Sans attendre plus longtemps, j’attrapai mon sac, puis je me rendis à la porte pour l’ouvrir sur Juan, habillé de façon élégante, mais pas trop… Avec la fameuse chemise de la dernière fois, tache incluse.  « Je te l’avais dit que c’était tendance ! » fut ce que je lui dis, ne pouvant pas m’en empêcher. Ensuite, il me tendit une boîte, m’expliquant à demi-mot de quoi il s’agissait. Intriguée, j’ouvris la boîte, puis je ris de nouveau en voyant le fameux gâteau que je n’avais pas choisi au restaurant. Comment avait-il fait pour se souvenir d’un tel détail ? Je savais que j’avais bagarré longtemps dans ma tête - et pas seulement, à voix haute aussi - mais c’était une telle futilité… Sauf que là, je trouvais que c’était tout simplement adorable.  « Merci, c’est vraiment gentil. » Je n’allais pas le nier; j’avais faim. Si ce n’était pas du fait que nous étions sur le point d’aller au restaurant, je l’aurais sûrement mangé, mais je me gardai une petite retenue.  « Je vais aller le déposer au frigo et je suis prête, d’accord ? » Et puis, je devais avouer, j’avais hâte de voir ce restaurant qu’il avait vanté, cette danse, et surtout, comment les choses allaient se dérouler.

Juan n’avait pas besoin de me dire de prendre mon temps pour aller déposer le gâteau dans le frigo pour que je sente que non, je n’étais pas pressée. Ça changeait, ça aussi, ne pas devoir me mettre trop de pression. Je ne saurais pas expliquer pourquoi c’était ainsi. Malgré tout, je ne comptai pas le faire attendre trop longtemps, me contentant de faire la chose la plus simple qui soit; j’ouvris la porte du frigo, j’y déposai le gâteau, je la refermai et voilà tout. J’attrapai mon sac à main que j’avais laissé sur la table - comme à mon habitude - et j’allai retrouver Juan à l’entrée. À son compliment, je ne pus m’empêcher de sourire, lâchant un timide:  « Merci.. » avant de sortir en sa compagnie pour aller rejoindre sa voiture. Le trajet fut rapide, mais agréable. Au bout de quelques minutes, nous arrivâmes au restaurant en question, restaurant que je ne connaissais pas. J’avais beau vivre à Ottawa depuis plus de deux ans, cela ne voulait pas dire que je connaissais tout. Et puis, la majorité du temps, j’étais au pub. Je n’allais pas vraiment visiter les autres restaurants. Évidemment, je le faisais davantage lorsque je travaillais dans le domaine du tourisme, mais ça, c’était une autre vie, littéralement. Par contre, cela semblait être le parfait contraire pour Juan; dès que nous entrâmes, le maître d’hôte le reconnut, lui donnant sa table habituelle. Évidemment, ce n’était pas tous les clients qui avaient droit au même traitement. C’était quand même amusant, mais aussi quelque peu intriguant. Après, Juan était mystérieux. Bien des choses étaient intrigantes sur sa vie. Mais je ne pouvais pas tout lui demander, parce que je ne voulais pas être envahissante, et parce que je ne voudrais pas qu’on me fasse la même chose, surtout avec tout le bagage que je transportais. J’avais appris avec le temps à me construire une histoire qui faisait à peu près du sens, mais ce n’était pas toujours simple. Nous prîmes place à une - non, sa - table, haussant les épaules pour montrer à Juan qu’il n’avait pas à s’excuser, puis je commençai à regarder le menu. En fait, je n’étais pas certaine si j’avais besoin de le regarder, puisque rapidement, Juan me fit plein de propositions, ce qui me fit sourire, de façon amusée. Je me permis même de rire doucement à son dernier commentaire concernant le gâteau au chocolat. Après tout ça, je ne pus m’empêcher de lui dire:  « Tu connais vraiment ce restaurant comme le fond de ta poche, on dirait bien ! » Évidemment, j’avais gardé le commentaire sur le côté taquin, et je n’avais pas d’autres intentions, mais je devais avouer que j’étais curieuse de voir s’il allait ajouter quelque chose, un détail, une anecdote quelconque. Sinon, j’allais faire avec et décider ce que j’allais manger - quoique ses propositions ne me laissaient pas indifférentes. Après tout, j’étais loin d’être difficile, et toujours désireuse de découvrir de nouvelles choses.

Juan n’hésita pas à m’expliquer pourquoi cet endroit lui paraissait si familier. Il le fit même de façon relativement précise, ce que je ne pus qu’apprécier. Non que j’aurais été embêtée s’il ne l’avait pas fait, je voulais être quand même respectueuse de sa vie privée, mais j’appréciais le fait qu’il se sente assez en confiance pour m’en parler ne serait-ce qu’un peu. C’était ce que j’aimais aussi de passer du temps en sa compagnie; faire la conversation n’était pas compliqué. En tout cas, de mon côté, je ne me sentais pas forcée de trouver des sujets de discussion, ou me gêner pour répondre quand il me demandait quelque chose, et ça me plaisait, ça faisait du bien. Acquiesçant à ses propos avec un petit sourire, je ne lui en demandai pas davantage, bien satisfaite de ce qu’il m’avait dit. Je ris doucement à son commentaire, ne pensant pas vraiment ça. C’était mignon, qu’il connaisse ses petites habitudes. Et puis, les habitudes, les lieux connus, c’était rassurant parfois. Par le passé, j’avais appris à essayer de trouver, des choses, des endroits, ne serait-ce que des odeurs qui pouvaient me rassurer, me faire sentir que je pouvais être bien quelque part. Si ce lieu était ça pour lui, c’était plus que tant mieux. Après tous ses propos, je devais admettre que regarder le menu me semblait soudainement moins intéressant. Puis, après quelques secondes, je finis par dire:  « Tu sais quoi ? Je vais écouter tes suggestions et prendre ce que tu as dit. » Je ne me sentais nullement forcée de le faire. Le sourire que j’avais aurait pour fonction, je l’espérais, de lui signifier. Mais comme si j’avais le sentiment que ce ne serait pas suffisant, j’ajoutai:  « Tu sembles vraiment bien connaître le lieu et je te fais confiance. J’ai bien hâte de goûter à tout ça. » C’était pas mal simple comme explication, peut-être qu’elle trahissait même une petite crainte. Je m’en rendis compte qu’après-coup, et puisque dans ma tête, c’était entièrement le contraire. Pour préciser, je finis par dire:  « Lorsque je découvre un nouvel endroit je suis toujours curieuse d’essayer ce par quoi les gens qui s’y connaissent sont passionnés. » Lorsque j’avais eu l’occasion de voyager, c’était ainsi que j’avais fait mes plus belles découvertes, que ce soit les lieux, la nourriture ou autre. Ce n’était pas tout à fait pareil, mais j’avais envie de le prendre un peu comme tel ce soir. Quelque chose me disait que je n’allais pas le regretter.

Décidément, je n’aurais rien à choisir ce soir pour mon menu, et pour être honnête, cela ne me gênait pas nécessairement. Comme je l’avais déjà laissé sous-entendre, j’aimais essayer de nouvelles choses. J’étais curieuse, et compte tenu du fait que j’avais été obligée de constamment m’adapter à de nouvelles situations, j’étais devenue très peu difficile au fil du temps. Si le repas était déjà réglé, alors ma boisson l’était également. Je ne doutai pas un instant que ce serait bon, d’autant plus que j’avais déjà entendu parler de petit liquide qui pouvait avoir cet effet dans une boisson. D’ailleurs, je ne manquai pas de m’exclamer:  « Je n’arrête pas de demander à mon frère d’essayer de faire des cocktails avec ce truc ! » Je ne lui reprochais pas, évidemment. Il était meilleur en affaires et avec les chiffres que moi. Moi, j’étais plutôt celle qui avait des idées, parfois plus farfelues les unes les autres. Heureusement, certaines fonctionnaient et d’autres fois, Jayan ne manquait pas de me rappeler sur Terre pour me montrer que peut-être que je ne pensais pas correctement. J’avais l’habitude, je savais que je ne pensais pas toujours comme la normale des gens. Ne m’étalant pas sur ce sujet, je n’aurais pas pu de toute façon, parce que le serveur vint à notre rencontre, nous demandant ce que nous voulions boire. Je commandai ce fameux cocktail que Juan me recommanda, le laissant ensuite commander, en espagnol. Je le regardai d’un sourire amusé, surtout quand je vis l’air ravi du serveur. Je connaissais quelques mots et je savais me débrouiller, mais je n’étais pas assez confiante pour sortir mes rudiments d’espagnol dans un tel contexte. Le serveur quitta notre table, et Juan reprit la parole, me disant que la prochaine fois, c’était moi qui allait devoir lui montrer quelque chose qui me passionnait. Je ris, un peu gênée. Quoi donc ? Je ne saurais pas vraiment le dire. Je répondis donc:  « Oh, il me faudra un peu de temps pour y réfléchir. » Enfin, je savais ce que j’aimais, mais j’avais aussi ce souci, de faire en sorte que cela plaise à l’autre personne également. Mais la réalité était que je n’en connaissais pas beaucoup sur Juan. Du moins, pas assez pour savoir exactement ce qui pourrait lui plaire… Je me risquai donc à lui demander:  « Tu aurais envie de découvrir quoi ? » Je gardais volontairement la question large. Voulait-il que je l’emmène dans un restaurant qui me plaisait ? Une activité ? Jusqu’où voulait-il aller ? Jusqu’où moi, je voulais aller ? Je ne savais pas. C’était flou, excitant, mais aussi effrayant à la fois.

 « Si ça ne te gêne, pas je veux bien ! » fut ce que je répondis quand Juan me proposa de me donner la recette de cette boisson. Enfin, j’aurais pu aussi trouver comment faire moi-même en expérimentant au pub, mais si cela lui faisait plaisir, je ne voyais pas pourquoi je gâcherais ce moment en agissant comme la grande indépendante que je pouvais être parfois. Se laisser aller, c’était bien parfois, et pour ce qui était ce qui me semblait être un détail, ce n’était rien de grave, en mon sens. Changeant le sujet, Juan en vint à me proposer de choisir où nous irions la prochaine fois, question qui me laissa quelque peu embêtée. Non pas que je ne voulais pas, l’idée me rendait particulièrement enthousiaste - sans que je puisse vraiment m’expliquer pourquoi complètement - mais parce que je ne savais clairement pas où aller, que faire, et surtout, ce qui pourrait lui faire plaisir. Évidemment, je pourrais m’en tenir à ce qui me plaisait à moi, mais encore là, les choix étaient peu variés, considérant que la plupart du temps, à l’heure du dîner, je me tenais déjà derrière le bar au pub, et si je n’avais pas mangé avant mon service. Je n’étais pas sans jamais sortir, heureusement, mais j’avais toujours cette sensation que je me devrais d’en connaître davantage sur les environs, sur ce que la ville avait à offrir et pourtant, je sentais que j’en connaissais si peu. Gardant la suggestion en tête toutefois, j’acquiesçai d’un signe de tête pour montrer que j’allais faire mes recherches. Dans ma tête, auprès des gens que je connaissais, je ne savais pas encore, je verrais bien. Ce à quoi je répondis plutôt, ce fut le commentaire comme quoi je pourrais en avoir assez de lui après la soirée. Dans un haussement d’épaules, je répondis:  « Ça je ne crois pas. Pour tout te dire, je suis bien avec toi. » J’arrêtai dans un premier temps mon propos à ces mots, réalisant que peut-être cela pourrait laisser sous-entendre certaines choses. Refusant de laisser un flou, j’ajoutai rapidement:  « C’est pas tous les jours qu’il est si facile d’entretenir une conversation avec quelqu’un… » Ça aussi, c’était vrai, et pour ça, j’avais pas mal d’expérience, compte tenu que dans le cadre de mon métier, j’échangeais constamment avec des gens. Juan devait le comprendre aussi, au vu de ce qu’il m’avait raconté de sa vie. Mais était-ce réciproque ? Ça, je ne le savais pas. Avais-je été trop honnête dans ma déclaration ? Peut-être, un peu, je ne saurais pas trop. Voilà pourquoi je n’osai rien dire de plus par la suite, attendant de voir, espérant juste ne pas avoir jeté un malaise.

Je dus avouer que cela me rassura quelque peu d’entendre Juan me dire que lui aussi, trouvait que la soirée, pour le moment, était agréable. J’avais envie de croire qu’il était sincère dans ses propos et ne disait pas ça seulement pour être poli avec moi. Parce qu’au final, je ne pourrais pas le savoir, compte tenu que quelques instants après, on se fit servir les boissons et l’entrée. Après un « bon appétit » poli, je ne tardai pas à attaquer la boisson, puis le premier plat. Juan avait vu juste; ce premier aperçu de ce qui était servi dans ce restaurant était tout simplement excellent et donnait envie de goûter la suite. D’ailleurs, cette dernière ne tarda pas à arriver, à mon étonnement. Avions-nous discuté pendant tout ce temps ? Je ne pensais pas avoir perdu une éternité à manger mon plat après tout… Ou était-ce le service qui était très efficace ? Je ne saurais pas le dire. Enfin, je n’allais pas m’en plaindre, c’était certain. Au commentaire de Juan, je répondis:  « Vu la Picada, je n’en doute pas que ça va être délicieux. » Et comme si je tenais à montrer que j’avais raison - même si je n’avais absolument rien à prouver - je ne tardai pas à prendre une première bouchée de mon repas. Une bouchée peut-être ambitieuse, puisque cela me prit un petit moment à la mâcher, puis finalement l’avaler, mais je ne le regrettai pas un instant. D’ailleurs, je ne tardai pas, dès que j’eus la bouche libre, d’ajouter:  « Je confirme. C’est excellent. Tu as fait un excellent choix. » J’adressai un petit sourire enthousiaste et complice à Juan, avant de continuer à manger mon plat avec appétit. Cela ne m’empêcha pas d’apercevoir les gens autour qui commençaient à se lever pour aller danser. Dans un premier temps, je ne dis rien, puisque je ne voulais pas provoquer les choses ou rien de tout cela. Mais quand j’eus terminé de manger et que je vis que Juan aussi, je me calai un peu dans ma chaise, et je dis, en tentant de plaisanter, tout en étant sérieuse aussi:  « C’était vraiment bon, mais je crois que je vais devoir bouger un peu pour digérer tout ça. » Curieuse, je guettai la réaction de mon cavalier de la soirée. Était-ce trop tôt pour lui proposer d’aller danser ? Ou déplacé que je m’impose ainsi ? Je ne savais pas, mais j’espérais que non, parce que je ne voulais pas mettre un froid dans cette soirée qui se déroulait on ne peut mieux en ce moment.