Il est l'heure de ranger! Feat Julian

Je m’extirpe du lit, simplement guidé par mon nez qui est chatouillé par une odeur particulièrement alléchante. Si je suis réveillé depuis quelques minutes à scroller mes pages instagram et facebook, je n’ai pas eu le temps de me rendre à tiktok pour perdre du temps, flâner au lit encore un peu plus. Bon en vrai, il n’était pas siiiii tard que ça, mais ça reste que je dois sans doute être le plus paresseux de la famille le matin. J’aime pouvoir prendre mon temps! À cette affirmation mentale, je souris, tentant de replacer une mèche de mes cheveux qui me tombe devant les yeux. J’enfile rapidement mon survêtement ainsi qu’un t-shirt que j’ai récupéré sur le plancher de ma chambre avant d’oser ouvrir la porte de mon antre. Ouais mon antre. Parce que j’ai la fucking paix si j’ai envie d’être tranquille. Bon y’a Aubin une fois de temps en temps qui comprends rien et qui entre quand même dans ma chambre parce qu’il doit ‘’absolument’’ me parler. Peut-être Mom aussi, mais elle est pardonnée, rien que parce que c’est elle et que j’ose croire qu’elle ne fouille pas vraiment dans mes affaires.

J’ignore un peu de quoi ma tête doit avoir l’air, mais je me doute que c’est la pagaille avec la longueur de mes cheveux. Suffisamment long dans tous les cas pour que ça ressemble à un nid d’oiseau qui suffoque en créant son antre. Je souris, amusé au fil de mes propres pensées. Des fois, je me dis que j’aurais dû faire une carrière dans l’humour, je suis sûr que j’attirerais des foules, parce que eh!, je me fais rire! C’est déjà pas mal! Je glisse une main négligente dans ma chevelure, tentant de faire comme si je m’en préoccupe vraiment.

Une autre affaire qui à l’air un peu négligée dans l’appartement, c’est sûrement ce sapin qui est en train de se demander pourquoi il tente de survivre. Il a l’air d’avoir vécu une vie de débauche et qu’il est maintenant le temps de le faire entrer en désintoxe… ou de lui donner sa dernière dose. J’hésite un peu. Malgré son apparence hautement défraîchi, je ne peux m’empêcher de m’arrêter quelques secondes devant cet arbre qui a été, quelques semaines auparavant, vraiment magnifique. Il aura réussi à nous donner un peu de joie en ce temps des fêtes. Un autre temps des fêtes où j'ai eu à la fois envie d’être joyeux et morose. Depuis qu’il était parti, je n’ai jamais trouvé qu’ils étaient vraiment pareil. Sans doute parce que pendant un bon moment, nous n’avons pas vraiment eu de parents. On faisait à peu près, on tentait de se tenir par les coudes pour s’aider du mieux qu’on pouvait. Nous, forcés de vieillir beaucoup plus vite. C’est sûrement pourquoi j’agis de façon toujours aussi immature par moment. Le pire c’est que je sais que mes réactions sont immatures, mais c’est plus fort que moi. Au plus grand désespoir de mes deux clones. Ils ont toujours été plus à leur affaire, toujours plus droit que moi et ça m’a toujours un peu agressé. Ils ne pouvaient pas être un peu plus imparfaits, question de ne pas me laisser comme un con derrière? Elle était où la solidarité fraternelle là-dedans?

J’émet un petit grognement pour la forme avant de soupirer. Autant me concentrer sur autre chose. Et cette chose, c’est cette magnifique odeur qui revient chatouiller mes narines. Pour vrai, ça sent le ciel dans l’appartement. Je ne sais pas trop ce que ma mère à faire pour manger, mais rien qu’à l’odeur, je sais que ce sera divin. J’en salive déjà. J’active mes jambes pour me diriger à la cuisine où j’y trouve ma mère resplendissante et souriante. J’élève un sourcil dans les airs à sa remarque, tout juste avant de lui tirer la langue. J’allais me permettre une belle remarque, bien placée dans les dents, mais elle a enchaînée trop rapidement, m’annonçant que c’était moi cette année qui était de corvée d’enlever les décorations de Noël avec elle. “MAIS! C’est le tour d’Aubin cette année, ça fait déjà deux ans que je m’y colle!” Je grogne pour la forme, affichant un air désespéré qui sonne totalement faux, parce qu’en vrai je m’en moque. C’est juste pour agacer ma mère un peu. J’aime bien ce temps que je passe avec ma mère, en général, elle n'est pas trop chiante.  

Je passe donner un bec sur la joue à ma mère avant de m’asseoir à la place qu’elle m’a désignée, observant avec gourmandise mon assiette. Miiiiiiam! Croisant ma cheville sous ma cuisse, je prends place sur ma chaise, réprimant un léger bâillement. “Un peu, avec les gars on travaillait sur notre nouvelle composition. Elle avance super bien, il reste quelque trucs à peaufiner, mais je crois qu’on pourrait bientôt la tester au bar. Tu viendrais nous voir?” Parce que je me servais parfois de ma position de barman pour squatter une audience pour le groupe. Ça permettait à mon patron de faire de l’animation et nous de nous faire connaître un peu, de tester du matériel. “Et je crois que je vais y faire un solo de triangle. Ce sera MA-LA-DE!” Je mime dans les airs un solo de triangle avec trop d'énergie pour cet instrument. Dans tous les cas, ce sera déjà mieux que le solo de maracas que j’ai joué devant mon père quand je l’ai rencontré dans le magasin de musique pour remplacer ma corde de guitare.

Malgré tout, un immense sourire mesquin se dresse sur mon visage. Un solo de triangle. Que c’est con. Comment agresser tout le monde dans le temps de le dire. Mon sourire s'agrandit un peu plus. J’ai une idée de génie. Pour vrai, je dois aller jouer mon solo sous la fenêtre de Jamilah, juste pour la faire chier un peu. Ce sera drôle! Elle m’en voudra à mort. Je ris de ma connerie, la notant dans un coin de ma tête.

Je prends le temps de mettre un morceau de pancake dans ma bouche, savourant son goût. C’est si bon! C’est merveilleux. J’observe tout ce qui se trouve sur la table puis jette un coup d'œil à ma mère qui boit son café devant moi. “Des fois je me demande si ton but ce n’est pas de nous engrosser et de tenter de nous vendre au poids, comme des cochons, quand on te tape trop sur les nerfs.” lachais-je d’un rire dans la voix. Ma mère et ses quantités exagérées de nourriture. À moins qu’on attendait quelqu’un d’autre? Un léger plissement au niveau de mes sourcils se forme à cette pensée avant que je ne chasse l’idée de ma tête. Non, on ne sera que ma mère et moi aujourd’hui. Mes clônes sont partis, comme d’habitude et Swan, bah j’en sais rien… Comme d’habitude ça aussi. “J’sais que tu as fait à manger ce matin, mais c’est quoi ma surprise si je t’aide à ranger?” Je lui adresse une moue adorable comme lorsque j’étais jeune pour tenter de la faire craquer quand je voulais quelque chose en particulier. Des fois ça fonctionnait, d’autres fois non, mais je ne perdais rien à m’essayer, là j’avais juste envie de m’amuser avec ma vieille mère, comme elle se nommait elle-même.

“La grasse mat’? Regarde l’heure, c’est une amélioration depuis que je ne suis techniquement plus considéré un vrai adolescent. C’est près de trois heures plus tôt!” Je lui adresse un de ses sourires un peu trop fier d’avoir une bonne réponse à lui fournir alors que franchement, je ne crois même pas avoir à me justifier. Je n’ai peut-être pas fait de grandes études, je n’ai peut-être pas des emplois à tout casser, mais ça me permet d’en mettre un peu de côté et de pouvoir vivre un peu. Sans compter que plusieurs mois par année, j’enchaîne de me lever très tôt le matin pour travailler en paysagement, rentrer dormir une heure ou deux et ensuite retourner travailler au bar pour la soirée et une partie de la nuit. Même que parfois, à travers tout ça, j'ajoute des répétitions avec mon groupe de musique, des sorties avec des amis et j’arrive toujours à me lever le lendemain. Souvent ça nécessite une grosse dose de caféine, mais rendu-là, c’est mon problème. Enfin… celui des autres aussi parce que je me mets à bailler aux corneilles et s’ensuit une chaîne de bâillements avec mes collègues. Y’a même des journées où les murets de béton sont diablement attirant pour faire une petite sieste de vingt minutes… ou de deux heures, malgré le confort inexistant d’une structure de béton.

Je sens ma bouche s’ouvrir que ma mère me fasse un tel reproche sur le fait de donner la bonne heure et la bonne date. J’ai vraiment essayé de paraître outré pendant quelques secondes, mais les coins de mes lèvres ont fini par se tordre dans un rictus. Je me souviens de cette soirée-là où j’avais un peu cherché ma mère du regard dans la foule, sans comprendre pourquoi elle n’y était pas. À ce moment-là, je me suis demandé si elle avait encore chuté dans son péché, si elle avait disparu de nouveau. Quoique dans son cas, elle aurait aussi pu ne pas avoir eu la force d’affronter l’alcool du bar où nous nous présentions. Tout ça m’avait traversé l’esprit, mais au final, en discutant avec elle après cette soirée, j’ai fini par comprendre que j’avais fait une bévue. “C’est pas de ma faute si j’ai les doigts trop gros et que je t’ai envoyé le 22 au lieu du 21! Tu aurais dû prendre le temps de revérifier avec moi!” Je pince mes lèvres pour tenter de retenir le rire qui veut les franchir, tentant même de camoufler mon affront avec un nouveau morceau de pancake. Évidemment ma mère ne pouvait pas se douter que je n’avais pas écrit la bonne chose, elle ne pouvait que prendre cash ce que je lui avais écrit. “Mais je vais essayer de faire changer l’endroit, je me suis dit que ça pourrait peut-être être cool de faire un petit parc ou quelque chose de petit en plein air. Un truc un peu improvisé dans un sens. Je ne sais pas si ça serait possible ou encore si ce serait une option intéressante, mais un peu à la manière des amuseurs de rue l’été dans la période touristique, ça pourrait être cool tu crois?”

Je m’entends éclater de rire en rejetant légèrement ma tête vers l’arrière. Sa réaction sur mon solo de triangle est d’autant plus amusante que ce que je m’étais imaginée. Je tente de faire une moue du mieux que je le peux en ce moment en secouant la tête. “Tu brise mon rêve de devenir un soliste de triangle aguerri Mom!” Je mime d’avoir mal au cœur, tentant d’afficher un air piteux. “Je me suis tellement pratiqué! Swan t’en voudra que je lui ai cassé les oreilles pour rien avec mon triangle fraîchement acheté!” Malgré moi, mon ton est devenu tellement sarcastique, que c’est clair que ma mère comprendra que ce n’est pas vrai, que je n’ai pas de triangle et que je n’ai pas fait chier ma soeur avec ça, même si j’avoue que ça aurait été tellement, mais tellement amusant! Peut-être que ce sera son prochain cadeau de Noël tient! “De toute façon, on s’entend que je vais rocker la place même si je fais juste du air-triangle! Je te ferais même monter sur scène pour m’accompagner…” L’idée mijote rapidement dans ma tête puis un grand sourire se fond sur mon visage pendant que je lui tends la main. “Deal, je fais du air-triangle si tu m’accompagne et en joue avec moi!”

J’avale encore quelques petites bouchées de mon repas, restant un peu silencieux devant ses dernières paroles. L’ambiance à la maison était tellement étrange depuis de nombreuses années, chacun en voulant à un autre pour un petit quelque chose. D’un côté, j’osais me dire qu’on était tous encore ensemble dans le bateau, d’un autre, c’était réellement lourd à vivre. Personnellement, même si ça avait été une période horrible pour tout le monde, je n’avais pas pu me résoudre à en vouloir à ma mère. Parce que je la comprenais d’un sens. Notre vie avait tellement changée du jour au lendemain, laissant une énorme cicatrice, que la seule partie sage de moi c’était dite qu’on ne pouvait pas tous gérer de la même façon. Dans tous les cas, je tentai de ramener un peu de joie sur notre petit-déjeuner, pour ne pas briser l’ambiance joyeux que nous pouvions avoir. “Donc au final, c’est que moi que tu tente d’engraisser comme ça! J’hésite entre être heureux d’avoir toute cette attention ou déçu que tu tente d’être machiavélique avec ton propre fils!” Je plisse les yeux pour tenter de donner plus de valeur à ce que je dis, comme si je tentais d’être un colombo de moi-même. Ça ne fera sans doute pas mouche, mais au moins j’aurai essayé.

Je me lève de ma chaise avec mon assiette vide, jetant un coup d’oeil à toutes les autres qui attendent désespérément d’être mangées. “En vrai, tu devrais aller les porter dans un comptoir pour l’aide alimentaire. Si ça ne nous sert pas, y’en a d’autres qui raffoleront de ta cuisine, je suis sûr! Si jamais tu penses à une redirection de ta carrière, ils ne manqueront jamais de quantité de bouffe, même-là tu en ferais sûrement trop!” Je lui tire la langue, rinçant ma vaisselle pour la déposer ensuite dans le lave-vaisselle. Je me retourne pour lui faire face alors qu’elle me met sur le nez que ma récompense aura été d’aider une petite vieille. Une mine amusée se dessine sur mon visage sans que je puisse la retenir. “Pauvre vieille! C’est vrai que tu es rendu-là!” Je reste sur mes gardes, d’un cas qu’il y aurait un explosion suite à la porte ouverte qu’elle m’a donnée et qu’elle n’a pas refermée d’elle-même. Je n’allais quand même pas passer à côté, bon j’aurais peut-être dû parce que c’est ma mère, mais bon, elle s’en remettra. Je réfléchis un peu, inclinant la tête sur le côté. Je n’avais pas particulièrement envie d’avoir un bien matériel, d’autant plus que je plaisantais sur cette demande, mais en même temps, je ne peux m’empêcher. “Ok, j’te donne un coup de main si après on va se chercher un chocolat chaud ou un café et qu’on va se promener dans le petit parc linéaire après.” Je ne pouvais m’en empêcher, maintenant que je retrouvais davantage ma mère, j’avais envie d’être un peu avec elle. Même si j'ai maintenant 25 ans.  

Je lui donne un coup de main à ranger la table, haussant les épaules à sa question. Vu ce que nous avions vécu, nous étions devenus un peu plus économes sur les dépenses un peu superflues. Vivant sur un maigre salaire, c’était la moindre des choses que de récupérer ce qu’on  pouvait, même si c’était particulièrement chiant de défaire la boule de lumière l’année d’après. “J’sais pas…” Je jetai un coup d'œil au salon avant de m’y diriger pour observer l’arbre qui criait vouloir mourir. Fallait lui donner l’aide médicale parce que franchement, il était à l’agonie avec ses épines qui jaunissaient. “Y’a quand même des trucs sympas qui restent. Au pire, on les retire et si l’an prochain on voit qu’on ne les veut pas comme ça, on les donnera? Parce qu’elles ne sont pas mauvaises les décos, juste… collantes…” Je plissai un peu le nez à imaginer mes doigts pleins de gomme de sapin. Il ne devait plus en rester tant que ça, mais le mal du début, de ses beaux jours était quand même fait. Et mon âme charitable à vouloir donner venait sans doute du fait que je savais ce que c’était que d’être plus serré et de ne pas toujours avoir les moyens de s’offrir quelque chose, même si c’est significatif. Alors pourquoi pas aider quelqu’un d’autre qui en aurait de besoin éventuellement?

Tranquillement, je commençai à dévêtir l’arbre de ses décorations restantes en faisant tomber un millier d’épines sur le sol. Décidément, sa vie utile était maintenant terminée.