Who needs alcohol to have fun ? ࿓ Esme Torres

Juan avait eu une longue traversée du désert avant d'enfin apercevoir le bout du tunnel. Il avait eu de la chance de ne pas être seul, d'avoir le soutien inconditionnel de Nora et de ses amis pendant ce procédé moralement coûteux dont il avait souvent l'impression de sortir à peine tant le temps filait. Sa vie n'était pourtant pas en pause depuis sa sortie de North Bay, au contraire même, il avait l'impression de ne pas arrêter. Entre le Coffee Club et le cabinet, Juan avait rarement le temps de se poser et, quand il l'avait, il veillait sur ses petits protégés, animant même des thérapies de groupe dans son ancien refuge pour aider d'autres âmes en peine. Efficace sur les trois fronts et c'était une bonne chose car il était bien incapable de l'être sur le seul qui comptait vraiment : son rôle de père.

Mais comment pouvait-il en vouloir à son fils après l'avoir terrorisé pendant aussi longtemps et aussi profondément malgré lui ? Son addiction l'avait poussé à s'écarter de sa famille bien plus longtemps qu'il ne l'aurait dû, rendant son retour très compliqué voire même parfaitement impossible... Nora l'avait pardonné, trop vite sans doute et trop inconditionnellement pour que leur fils l'accepte. Ses amis aussi, pour la plupart, avaient refusé de lui tourner le dos et c'est ce qui faisait qu'il avait aussi rapidement refait surface à sa sortie du centre et ce malgré la peine causée par l'impossibilité de reprendre sa vie avec sa famille. Il avait tout gâché et il ne pouvait en vouloir qu'à lui même.

« Tout va bien ? »

Demanda Nora, constatant que son ex-époux était, comme souvent, dans la lune. Ce n'était pas nouveau, cette tendance à "partir" était fréquente chez lui et ce depuis l'enfance. Sûrement un effet secondaire de sa condition, un besoin de son esprit de se couper du monde parfois, de ne plus compter, calculer, penser.

« Hum ? » Demanda-t-il, secouant doucement la tête avant de détourner son regard de la fenêtre pour le poser sur la rousse.  « Oui oui je... »

« Tu calculais ? »

Se moqua-t-elle gentiment. De l'extérieur, personne n'aurait pu dire qu'ils étaient séparés et ça ne lui faisait plus mal, plus autant du moins.

« Ah ah très drôle... » Soupira-t-il, reportant son attention sur les documents étalés sur le bureau. « En attendant tu seras bien contente d'apprendre que j'ai effectivement calculé et qu'ils peuvent espérer des dommages et intérêts au moins quinze pour-cent supérieurs à ce que tu pensais leur proposer. » Nota-y-il avec un sourire malicieux, poussant un document pour en montrer un autre. « Tu peux aussi jouer sur ça. »

Expliqua-t-il, Nora ne tardant pas à s'emparer du papier, toujours aussi émerveillée par l'esprit d'analyse de Juan et son efficacité avec les chiffres. Il était un atout non négligeable au cabinet et pas uniquement parce qu'il leur avait conseillé d'engager une avocate extraordinaire avec qui il devait d'ailleurs déjeuner d'ici peu.

 « Tu es sûre que tu ne veux pas venir ? »

Demanda-t-il alors que la jeune femme était absorbée dans sa lecture, notant frénétiquement des informations sur le petit calepin installé sur le bureau. Maniaque, Juan ne pourrait pas travailler ici, pas efficacement en tous cas et cette différence de caractère avait causé pas mal de disputes pendant leur mariage. Dispute qu'ils aimaient résoudre toujours de la même façon ou presque, façon qu'ils s'étaient interdite aujourd'hui, une chance que les disputes soient moins fréquentes.

« Non c'est gentil, je vais terminer ça et j'ai une réunion avec un client en début d'après midi, profitez en tranquillement. »

Sourit-elle relevant les yeux vers lui comme pour appuyer ses paroles. Elle aimait pourtant beaucoup Esme mais elle savait qu'ils avaient des choses à se dire et elle avait effectivement trop à faire pour squatter ce repas. Nora, tout comme Juan, ignorait d'ailleurs que leur rencontre et ce partenariat n'était pas vraiment le fruit du hasard... Mais ça n'aurait rien changé, Juan avait réellement sympathisé avec elle et Esme était une employée modèle. Jayan avait bien fait de demander au patron de North Bay d'attribuer Juan a Esme en guise de parrain... Comme quoi, il lui arrivait de prendre de bonnes décisions !

« Comme tu veux. » Sourit-il. « Bon, si vous n'avez plus besoin de mes humbles services, je vais prendre congé ? »

« Vous pouvez très cher. » Répondit-elle sur le même ton taquin. « Oh et tu peux... »

« Passer prendre le costume oui, c'est déjà prévu ne t'en fais pas. Le gris n'est ce pas ? » 

« Oui, c'est celui qui lui va le mieux. » Sourit la jeune femme, toujours avec cette même tendresse quand il s'agissait de son fils même s'il n'était plus un bébé depuis longtemps. « Si tu savais à quel point l'idée d'aller à ce mariage l'ennuie ! »

« Je ne peux pas le blâmer, j'en suis presque heureux que nous ayons divorcé, ça m'évite de devoir y être ! »

Nora prit un air outré avant de lui taper sur l'épaule, les faisant tous les deux rire comme des adolescents. Ils n'étaient pourtant pas heureux de leur divorce, pas vraiment du moins, pas en sachant que les choses auraient pu reprendre si leur fils avait été plus conciliant... Mais c'était il y a des années, de l'eau avait coulé sous les ponts et, maintenant, ils vivaient avec.

« Marie et Goerge sont adorables, comment tu peux dire une chose pareille !? »

Demanda-t-elle sur un ton amusé car elle connaissait déjà la réponse qu'elle avait entendu vingt fois.

« Ils sont adorables mais ils en font des tonnes ! Ce besoin qu'ils ont toujours de vouloir paraître mieux que tout le monde, de toujours avoir besoin de tout savoir sur tout ! » Soupira Juan qui ne les avait jamais porté dans son coeur et qui savait d'avance que ce mariage allait être prout-prout et barbant au possible. « Et qui refait tout un mariage pour fêter ses vingt ans d'union hein ? Et dans un vignoble à dépenser un tas d'argent qu'ils n'ont même pas ? C'est ridicule... »

« Tu es juste un gros ours mal léché et ton fils, qu'il le veuille ou non, te ressemble beaucoup là dessus ! »

« Tu devrais le lui dire, ça l'encouragera sûrement à paraître plus enthousiaste ! »

Soupira le père raté, le coeur lourd à cette triste vérité. Il aurait aimé être plus proche de son fils, ne pas rester un fantôme pour lui mais c'était encore très tendu, assez pour que le jeune homme limite ses contact avec son géniteur...

« Je n'y manquerai pas ! » Affirma-t-elle avec enthousiasme avant de poser une main tendre sur la joue de Juan pour attirer son regard. « Et je suis sûre qu'un jour il sera fier de te ressembler, il est encore jeune, il se cherche... Ça finira par s'arranger. » Promit-elle, sincère, déposant un baiser rassurant sur le front de son ex-mari. « Maintenant file, hors de question que tu fasses attendre mon meilleur élément ! »

Conclut-elle, changeant la caresse en une petite claque délicate. Juan fit semblant d'avoir mal en se massant la joue tout en bougonnant vers la sortie. Nora était une femme merveilleuse et une mère fantastique, il avait vraiment de la chance de l'avoir... Une chance qu'ils aient finit par perdre un peu de leur sentiments avec le temps, les choses étaient moins dures ainsi, moins frustrantes aussi. Sans cela il aurait eu le coeur lourd en frappant à la porte de son amie hors de n'était pas le cas et son sourire était plus que sincère.

« Maître Torres... » S'amusa-t-il en passant sa tête dans l'embrasure. « Prête pour le déjeuner ? »

Ils n'avaient pas trop passé de temps ensemble ces derniers temps, trop de travail, trop de problèmes personnels aussi de ce qu'il avait pu comprendre... Il était temps qu'ils se retrouvent et qu'ils partagent un peu comme ils le faisaient plus souvent à l'époque. Le destin (ou qui que ce soit) avait bien fait les choses finalement et ils étaient devenus amis à présent. De très bons amis qui ne se seraient sûrement pas rencontré autrement. Quelle chance !

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« C'est bien cela Madame Peterson... Oui... Non, non, rassurez-vous! Vous n'avez besoin de rien faire. Le jugement nous a été envoyé, vous en aurez une copie par courrier d'ici quelques jours... C'est bien ça, vous n'avez qu'à attendre et profiter de la décision... Ne me remerciez pas, c'était avec plaisir... Bonne fin de journée à vous aussi Madame Peterson et à votre famille aussi...» Quelle matinée épuisante! L'avocate soupira, raccrochant le téléphone et fermant un de ses nombreux dossiers. Pour celui-ci, le jugement avait enfin été prononcé après plusieurs semaines de bataille judiciaire éprouvante. C'était le genre d'affaires où la victoire n'était pas une option, mais bien une obligation, pour l'honneur d'une famille bafouée et déchirée. Après avoir informé ses clients du jugement final, Esméralda alla classer le dossier aux archives et revint dans son bureau avec de terminer encore quelques paperasses avant de devoir aller déjeuner avec un ami qui lui était cher: Juan.

Ne se doutant pas de la vérité se cachant derrière leur rencontre, l'avocate se sentait totalement en confiance avec celui qui avait été son parrain à North Bay.  Une très belle rencontre qui lui avait sauvé la vie. Oui, Juan l'avait aidé à tenir le coup, à se dépasser. Il avait été son ami dans des moments abominables, ne l'avait jamais lâché. Mieux encore, il l'avait aidé à retrouver un travail stable et qui, malgré certains jours difficiles, lui plaisait énormément! Oui, Juan était devenu un des amis les plus proches de la mexicaine et elle avait hâte de le retrouver pour échanger à nouveau les nouvelles de leur vie respective.

Et bon sang, elle en avait des choses à lui dire… Le retour de Jayan dans sa vie, l'absence de Swan qui lui brisait le cœur, la colère de son deuxième fils… Il s'en était passé des choses depuis la dernière fois qu'ils avaient réellement pris le temps de discuter. Des choses qui l'avaient mis à l'épreuve, elle et sa détermination à ne plus boire. Pourtant, elle avait eu envie plus d'une fois de céder, de retourner dans ses travers d'alcoolique dépendante. Esméralda se demandait encore comment elle avait réussi à tenir, d'où lui venait cette détermination alors qu'elle se sentait si faible bien trop souvent. Hors de question de le montrer cependant, non. Elle devait se montrer forte pour sa famille, rattraper ces années d'échecs monumentaux. Prouver à ces enfants qu'elle ne les lâchera plus jamais.

Les coups sur la porte la sortirent de ses pensées. Doucement, elle releva la tête et offrit un sourire éclatant à son ami ou plutôt, à la tête de son ami. « Monsieur Arriola! Je vous en prie, entrez donc! » S'amusa-t-elle tout en posant son stylo sur le côté d'un des dossiers qu'elle avait ouvert quelques instants plutôt. « Oui, laisse moi juste prendre ma veste et on pourra y aller! » L'informa-t-elle avant de se lever et de saisir son sac et sa veste qui pendait mollement sur le porte-manteau qu'elle avait fait installer à l'intérieur de son bureau. Bureau qu'elle avait décoré avec goût pour le rendre un peu plus chaleureux. Après tout, être avocat ne voulait pas forcément dire rester froid et impassible. Non, elle mettait un point d'honneur à ce que ses clients se sentent à l'aise avec elle. Pour les rendez-vous avec d'autres avocats lors de confrontation, elle préférait la grande salle de réunion austère.

« Je te suis! On va où cette fois? Je te préviens, je meurs de faim. Littéralement. » Plaisanta-t-elle avant de sortir du bureau à ses côtés. Au loin, elle fit signe à Nora qu'elle n'avait pas encore vu aujourd'hui. Les bureaux étaient grands et elles étaient toutes deux bien occupées. « Alors, quelles sont les nouvelles du moment? »

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La vie de Juan n'était pas des plus passionnante et ce n'était pas nouveau. Ses journées se rapprochaient grandement du très cliché "métro, boulot, dodo", le métro en moins. Pathétique ? Pas pour lui qui avait finit par y trouver un équilibre nécessaire après des années de tourmente. Si sa famille lui manquait ? Oui, bien sûr, et il regrettait toujours amèrement de ne pas avoir été à la hauteur mais le reste ne lui manquait pas : L'alcool, la fête, les journées chargées en nouveautés et en situation complexes étaient derrière lui ce qui était loin d'être une mauvaise chose. Aujourd'hui, il savait où il allait et ce même si la destination n'était pas transcendante. Le seul hic de cette rassurante monotonie était sa relation avec son fils qui le forçait à marcher sur des œufs encore bien trop souvent à son goût et ce malgré les paroles encourageantes de son ex épouse. Heureusement qu'il avait le travail et son rôle de parrain pour ne pas trop y penser et pour l'aider à se sentir un peu capable de faire les choses bien, d'être dans sa zone de confort. Au moins ça !

« Ils ont ouvert un restaurant de Sushi dans la rue si tu veux sinon il y a le petit café où nous allons d'habitude qui est une valeur sûre ? Les deux me vont, j'ai aussi assez faim pour manger à peu près n'importe quoi ! »

Sourit-il en lui tenant la porte avant de la suivre hors du bâtiment, saluant aussi Nora au passage. Bien qu'ils soient très proches, leur relation ne lui manquait plus autant, il s'était également fait à l'idée qu'ils ne pourraient plus être amants et ce n'était pas plus mal au fond, au moins ils pourraient survivre à toutes les tempêtes à présent, il en était tout aussi convaincu qu'elle. Une amitié pareille est puissante et bien différente de celle qu'il partageait avec la jolie Mexicaine même si cette dernière était toute aussi importante pour lui et qu'il ne doutait pas non plus de pouvoir traverser des tempêtes avec elle. Quelle chance il avait d'être aussi bien entouré !

« Oh tu sais, ma vie est un long fleuve tranquille maintenant. » Admit-il avec un sourire aucunement blasé. « Il faut juste que je trouve une idée de génie pour faire un petit quelque chose avec Liam avant la fin des vacances histoire de fêter son anniversaire sans paraître lourd ou ringard ce qui semble tout bonnement impossible en vue de ma situation actuelle. » Ajouta-t-il avec un petit rictus cette fois bien plus désespéré même s'il avait apprit à prendre cette triste réalité avec une certaine distance. « Il n'a même pas voulu que je vienne au restaurant avec lui et Nora le jour-J c'est te dire... »

Non pas qu'il ait réellement insisté, conscient justement de la gêne qui aurait pu suivre... Cette situation était un réel bourbier dans lequel il s'était mit tout seul et dont il n'était pas prêt de sortir. Quoi qu'il pouvait peut-être espérer un peu avec son entrée à la fac ? Peut-être que Liam aurait besoin de se confier un peu plus à un homme ? Peut-être aurait-il un peu plus de recul aujourd'hui pour pouvoir le comprendre ? En tous cas, il ne comptait pas baisser les bras, bien décidé à regagner un jour sa confiance en étant toujours là pour lui, même de loin. Il s'était d'ailleurs toujours monté parfaitement irréprochable depuis sa sortie de North Bay, tout comme Esme qu'il admirait grandement pour sa victoire.

« Mais bon, ce n'est pas comme si c'était particulièrement extraordinaire. » Conclut-il, ouvrant cette fois la porte du restaurant pour la laisser y entrer. Ils s'installèrent tranquillement avant qu'il ne reprenne la parole. « Et toi alors ? Comment se passe ta nouvelle vie ? »

La question n'était pas juste polie, il était sincèrement intéressé par la réponse, conscient qu'elle avait aussi traversé beaucoup de choses et ce même depuis sa sortie de North Bay. Il ignorait l'ampleur bien sûr mais elle lui avait laissé entendre qu'ils auraient plein de choses à se dire et semblait assez impatiente pour qu'il n'en soit pas inquiet. Quoi qu'il serait toujours là pour elle, avec les bonnes ou les mauvaises nouvelles, aussi bien en temps que "parrain" qu'ami car c'est ce qu'ils étaient devenus aujourd'hui et le rôle lui tenait tout autant à coeur si ce n'est plus.

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Ce déjeuner était une aubaine! Bien qu'elle ne s'en rendait compte que maintenant, Esmé avait bien besoin d'une oreille attentive pour se confier. Certes, il y avait Jayan, mais il faisait lui aussi partie du chamboulement de sa vie actuelle. Non, elle avait besoin d'un ami externe à tout ceci. Quelqu'un qui savait l'importance de tenir une stabilité quand on revenait d'aussi loin. Car elle se rendait bien compte qu'il y a encore un an d'ici, elle était dans un état plus que lamentable, à cuver sa téquila sur le sol de son appartement. Pour être honnête, si le centre avait fait des merveilles dans son sevrage, c'était bien la présence de Juan qui avait rendu tout cela durable. Ses encouragements avaient été le ciment de ses efforts et son amitié importait énormément à la mère de famille.

« J'ai arrêté d'écouter après le mot Sushi! Allons-y, ça fait des lustres que je n'en ai pas mangé! » C'était bien vrai! Hors son rendez-vous avec Jayan, la belle n'allait jamais au restaurant de ce genre. Elle n'en avait tout simplement pas le temps. Oh, elle allait bien au restaurant pour des rendez-vous entre collègues mais elle n'aimait pas ça. Non, le vin et autre coulait à foison et c'était tout sauf agréable.

Alors ce déjeuner, dans un restaurant de Sushi, en bonne compagnie: oh oui! Il n'y avait même pas de discussion possible. Une fois dehors, elle le laissa ouvrir la marche, ne sachant de toute façon pas vers où se diriger, n'ayant pas entendu parler de l'ouverture de ce qui allait devenir son restaurant favoris, enfin, celui du travail, évidemment.

« C'est toujours compliqué avec les enfants, hein? » Lui dit-elle, souriant doucement, avec une compassion non feinte. Oh, il allait bientôt savoir à quel point elle le comprenait. « Je crains de ne pas savoir te donner de vrai conseil à ce sujet… Mais, forcer les choses n'aidera pas je suppose… Fais-lui savoir que tu es disponible et présent, sans imposer quelque chose? » Tenta-t-elle de lui conseiller. Si elle avait bien appris un truc, c'est qu'il ne fallait pas forcer les jeunes, qu'ils avaient tendance à se braquer bien plus facilement que ceux de leur époque. « Mais je comprends que tu veuilles passer du temps avec lui, ça s'arrangera bien un jour. » Ajouta-t-elle, sincère.

Un peu trop optimiste? Sans doute. Mais l'espoir était si important dans la vie. Sans espoir, comment les gens pouvaient-ils avancer? Elle-même en avait bien plus qu'elle ne souhaitait l'admettre. L'espoir de récupérer sa famille comme avant. Que sa fille revienne la voir, que ses fils soient heureux, que Jayan ne parte plus… Oui, elle avait beaucoup d'espoir.

« Au moins, cela se passe bien avec Nora! Et à part ça? Une femme en vue? Tu devrais te remettre en selle! C'est vrai, tu ne sauras plus aussi séduisant bien longtemps. » Le taquina-t-elle. Mais elle n'en pensait pas moins, Juan avait la chance d'être un homme extrêmement bien conservé. Sans doute un de leur gêne latino. Oui, cela devait être ça! En le remerciant, elle pénétra dans l'établissement avec un grand sourire ravie. L'ambiance était simple mais adaptée au lieu. La décoration était faite avec goût. « Moi? Il y a trop de choses à dire… Et bon sang, que ma détermination est mise à rude épreuve… Je t'admire de tenir, car je sens que je risque de craquer à tout moment, moi. »

Une fois installée à l'une des tables, elle posa son sac sur le dossier de la chaise avant de soupirer et de le regarder. « Bon, par où commencer? Je suis de nouveau avec mon mari, Jayan… C'est une longue histoire mais pour faire court: ma fille travaille dans son Pub et je te laisse imaginer les retrouvailles au début: un drame. Elle ne se souvenait pas de lui avec son accident… Et je lui ai dit sans gant, sans savoir. Je pensais sincèrement qu'elle le savait. » Croisant délicatement les mains sur la table, elle grimaça avant de le regarder. « Bref, elle est partie ce soir-là et je ne l'ai pas revue depuis. Un de mes triplés m'en veux aussi. Il m'adresse à peine la parole. Alors, tu vois, quand je te dis que je t'admire, je ne plaisante pas. J'ai l'impression que je vais craquer à tout moment. » Soupira-t-elle. Bon, elle avait fait un énorme résumé, sautant pas mal de détails mais en réalité: elle ne voulait pas se souvenir de tout.

Non, c'était bien trop difficile et elle ne se sentait pas de taille à affronter tout ça une nouvelle fois. Pourtant, qui de mieux que son parrain pour la soutenir dans cette épreuve? Surtout qu'il était le seul, en dehors de sa famille, à savoir la vérité sur celle-ci. Sur Jay, les enfants, son départ, sa déchéance… Sur absolument tout, véritablement. Oui, Juan était son confident, un ami bien plus précieux qu'on ne pouvait le penser.

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À l'image de Nora, Esmeralda était une femme forte que rien ne semblait pouvoir freiner. Un tempérament de feu qui ne se laisse pas marcher dessus, une lionne quand il s'agit de protéger les siens ou ce qui lui semble juste, un esprit bien formé et tranchant qui s'adapte à tout en un clin d'œil. Des femmes brillantes et admirables donc, qualités qui deviennent des défaut car elles poussent les autres à ne pas voir le reste. Elles aveuglent leur entourage qui, malgré eux, leur donne toujours plus de responsabilité sans jamais leur demander si c'est trop, persuadé que leur sourire est sincère et que leurs épaules sont assez solides pour porter le monde. Juan y avait égoïstement cru, s'effondrant lamentablement là où il aurait dû continuer à la soutenir encore plus. Il avait pensé que la fin de la maladie voulait dire que son rôle de soutien n'était plus aussi important et que Nora pouvait prendre le relai. Esme avait subit ça aussi, portant le poids de sa famille sur les épaules pendant trop d'années jusqu'à céder sous leur poids, se réfugiant tout comme lui dans l'alcool pour oublier le reste. Nora avait été forte. Plus forte qu'eux deux réunis bien qu'il soit conscient que ce n'était sûrement qu'un masque cachant une femme brisée qu'il ne pouvait plus réparer. Rester proche néanmoins, l'aider dans le travail, être là pour elle, c'est tout ce qu'il pouvait faire à présent et il ne comptait plus lâcher prise, plus jamais. Tout comme il ne comptait pas lâcher Esme dont la réaction le fit sourire un peu plus.

« Espérons qu'ils soient à la hauteur dans ce cas ! »

Répondit-il avant de l'accompagner jusqu'au dit restaurant tout en commençant à discuter. Juan avait l'impression de ne pas l'avoir vu depuis trop longtemps, lui-même accablé par le travail. Enfin, "les" travaux qui dirigeaient sa vie. Il y avait le cabinet mais aussi son travail officiel dans la chaîne de cafés plus son rôle de parrain pour lequel il avait une longue liste de protégés qu'il surveillait de près. Sans compter ses interventions dans le centre de désintoxication qui les avait sauvé et où il allait souvent pour aider les autres. Un travail bénévole mais chronophage qu'il aimait autant que les autres si ce n'est plus car il s'y sentait réellement utile et à sa juste place.

« J'imagine oui mais j'avoue ne pas avoir aidé à rendre les choses plus faciles. »

Admit-il avec un petit haussement d'épaules. Esme connaissait son histoire car il ne s'en cachait pas. Il n'avait pas honte même s'il n'en était pas fier, la partageant justement pour éviter que d'autres fassent les mêmes erreurs que lui. Apprendre de son passé, s'en servir pour devenir un homme meilleur, progresser, admettre, il tentait de s'y tenir bien que ce ne soit pas tous les jours facile et même s'il avait plus d'une fois eu envie de tout abandonner pour de bon.

« Oui, c'est sûrement le plus sage tu as raison. » Concéda-t-il à la belle Mexicaine avec un petit soupir. « Il ne me reste plus que l'espoir ! »

Plaisanta-t-il bien que ce constat l'attriste. Il le savait oui, il n'avait plus qu'à espérer que les choses s'arrangent d'elles même maintenant que Liam était plus âgé et maintenant qu'il allait mieux. Le temps était son meilleur allié, le seul même à vrai dire... Un allié qui testait sa patience à chaque seconde... Un jour oui, un jour tout ira mieux ou, du moins, ils pourront repartir sur des bases plus saine et mettre cette rancune de côté. Après tout, ils avaient eu un beau lien avant tout ça ? Quelque chose de sincère et de beau ? Liam finira peut-être par s'en souvenir lui aussi ? Peut-être même souhaitera-t-il créer d'autres souvenirs à force ? L'espoir oui, voilà tout ce que Juan avait à présent et il le chérissait malgré tout.

« Oui j'ai vraiment de la chance de l'avoir, elle est merveilleuse. » Sourit-il avec sincérité. Il en remerciait le ciel tous les jours, heureux que le destin ne lui ait pas enlevé même s'il aurait préféré ne pas perdre cette partie d'eux au passage... « Tu crois ? Je ne sais pas, j'espérais que les rides finissent par me donner un côté rassurant à défaut de séduisant et que ça passe quand même ? » Plaisanta-t-il en secouant doucement la tête. « Mais oui, il faudrait que je m'y mette seulement je n'en ai pas le courage. Puis je n'ai pas vraiment le temps non plus et je ne veux pas être à nouveau un fantôme dans la vie d'une femme trop bien pour moi. » Admit-il avec une sincérité qu'il savait possible avec son amie. Amie qui semblait avoir plus besoin que lui de soutient... Ce repas tombait réellement à pic et il était inquiet mais soulagé d'être là pour elle au bon moment visiblement. « Je tiens par habitude, c'est encore frais pour toi alors c'est normal. Mais n'hésites jamais à m'appeler dans ses cas là, je ne suis peut-être plus ton parrain mais je suis ton ami alors il est de mon devoir de t'aider à traverser tout ça. »

Lui rappela-t-il, posant délicatement une main sur son épaule comme pour amplifier ses paroles. Voilà le problème, elles semblaient fortes même à deux pas de s'effondrer et, une fois encore, il ne l'avait pas vu, trop absorbé par le travail et par sa propre vie. Quel piètre ami il faisait ! Certes, Esme aurait pu venir lui en parler mais il aurait dû le voir, être plus attentif aux signes... Heureusement, l'avocate semblait encore tenir bon et il fut plus qu'impressionné par la suite, ne pouvant là encore que la trouver admirable de tenir malgré tout. Sans un mot, il l'écouta jusqu'au bout, finalement peu surprit de ne pas avoir pu deviner l'ampleur de sa situation. Beaucoup de nouveautés, de choses fortes et compliquées à gérer, beaucoup d'épreuves qui rendait son petit problème de papa bien ridicule à côté. Et dire qu'il avait osé se plaindre !

« Et c'est toi qui m'admire ? » Demanda-t-il, toujours sincère. « Esme, j'aurais sûrement déjà craqué à ta place et à ton stade de rémission. » Admit-il sans une once de doute dans la voix. « Tu es merveilleusement courageuse et tu n'as pas le droit de te juger, pas aussi sévèrement en tous cas. Les épreuves que tu traverses sont grandes, c'est normal d'avoir envie de replonger, de chercher du réconfort là où il est si facile d'en trouver. » Répondit-il, s'emparant de sa main qu'il serra très fort en cherchant son regard. « Tu l'as dit toi-même, c'est toujours compliqué avec les enfants mais ça s'arrangera et tu n'es plus seule maintenant. Aussi complexe que puisse être sa relation avec eux, ton mari est là et c'est vers lui que tu dois chercher du réconfort. » L'encouragea-t-il d'une voix douce et rassurante. « Vous aviez une relation très forte à l'époque, il faut que tu te raccroches à ça mais, surtout, il faut que tu lui parles. » Reprit-il, usant une fois encore de sa propre expérience pour conseiller son amie. « Ne lui cache pas ta faiblesse car, tout comme moi et tous les autres hommes, il ne voit sûrement que la femme forte que tu es, incapable de deviner les failles ou la profondeur de ces dernières. Nous n'avons pas les bons codes pour vous déchiffrer et ceux malgré tous nos efforts, nous ne savons pas voir sous la surface si vous ne nous mettez pas le nez dessus. J'imagine que les choses entre vous sont encore fragiles mais c'est justement le moment où jamais pour construire des bases solides et pour lui exprimer clairement ce dont tu as besoin. » Admit-il, une fois de plus sans honte, conscient de ses erreurs et ne souhaitant plus les faire. « Pour le reste, craque, tu as le droit de craquer mais il y a mille et une autres façons de le faire : hurle, danse, pleure, chante, cours... Ton cerveau à besoin de décompresser, il faut que tu lui laisses l'opportunité de le faire. »

Lui écrivait pour se détendre et, quand ça ne suffisait pas, il courait. Chacun ses méthodes, chacun sa voix mais il savait qu'Esme pouvait y arriver, elle était merveilleuse et, de ce qu'il savait, elle avait eu une relation très forte avec son mari, une relation qui pourrait l'aider grandement s'ils arrivaient à reprendre sur le bon pied. Dans tous les cas, il serait là lui aussi, toujours présent pour son amie.

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