Il en faut peu pour être heureux ♛ Colin

C’était bientôt l’anniversaire de notre mère et ce n’était pas n’importe lequel. Il méritait d’être souligné. Et puis, avec nos vies respectives, il n’avait pas été facile de le fêter comme il se le devait dans les dernières années, entre mes déplacements et la vie d’Amelia, et la sienne également. Cette fois-ci, nous avions décidé de faire le tout en grand. Mais pour y parvenir, il nous fallait planifier le tout convenablement. C’était ce que ma soeur et moi avions prévu de faire aujourd’hui, pendant la journée. Avant cela, elle avait des choses à faire, et moi aussi. De mon côté, j’avais un entraînement avec mon équipe. Optionnel, mais compte tenu du fait que je tentais de reprendre le dessus sur ma blessure et jouer comme si rien ne s’était passé, je prenais toute pratique qui s’offrait à moi. Lorsque l’entraînement fut terminé, je me changeai aux vestiaires, puis je rentrai directement chez moi, là où ma soeur et moi allions nous retrouver pour tout planifier. Ayant encore un peu de temps avant qu’elle arrive, je me préparai à manger et je pris le temps de prendre mon repas tranquillement. Et puis, si Amelia avait faim quand elle allait arriver, je pourrais toujours lui trouver quelque chose à manger. Si ça se trouvait, j’allais partager une bouchée avec elle plus tard, ce serait parfaitement mon genre. Prêt à la recevoir, l’heure étant arrivée, je l’attendis, sans commencer quoi que ce soit. Amelia n’était pas une championne de la ponctualité - j’étais meilleur à ça pour elle - mais là, aucun message pendant dix, quinze, vingt minutes… Avait-elle oublié ? Patient, j’attendis encore un peu, puis finalement, j’ouvris nos derniers messages pour lui en envoyer un nouveau. Je n’eus pas le temps de l’envoyer que j’entendis frapper à la porte. Sourire amusé aux lèvres, j’allai ouvrir la porte, tombant sur ma soeur, qui ne me laissa même pas lui dire bonjour, mettant dans mes mains un paquet de bières. Pas n’importe lesquelles qui plus est. Parfaites pour un après-midi entre frère et soeur. Riant doucement, je dis:  « Tu sais comment te faire pardonner, en tout cas. » Je me décalai pour la laisser entrer, puis je fermai la porte. Puis, tandis que j’allais déposer les bières au frigo, pour les rafraîchir un peu avant de les servir - je n’allais pas les garder que pour moi et je le savais très bien - je demandai à Amelia:  « Encore coincée au boulot ? » Amelia et moi avions ça en commun; notre métier nous occupait beaucoup. Mais on apprenait à vivre avec. Et puis, poser une telle question était ma façon de lui demander des nouvelles, comment elle allait, parce que à, elle semblait quelque peu… soufflée. Enfin, pas de quoi alerter une personne qui ne la connaissait pas énormément, mais moi, ce n’était pas le cas. Je la connaissais probablement plus que je me connaissais moi-même, donc elle pouvait difficilement s’en sauver.

Je fis une grimace à ma soeur jumelle, lui signifiant que même si elle voulait les garder toutes pour elle, il était hors de question que je la laisse faire, et elle le savait probablement déjà. Je savais aussi qu’elle plaisantait - je l’espérais en tout cas - donc je ne pris pas la peine de répliquer, d’autant plus qu’au bout de quelques secondes, elle finit par me le donner, non sans avoir vraiment tenté de le garder entre ses mains, ce qui m’avait inévitablement arraché un rire. Allant mettre les bières au frais, j’en profitai pour m’informer sur ce qui l’avait mise en retard. Le boulot, je m’en doutais bien, mais si elle souhaitait me donner des détails, elle pourrait très bien le faire. D’ailleurs, c’est ce qu’elle fit, sans apporter trop de précisions. Sachant Amelia une femme d’ambition - et je l’admirais pour ça - je pouvais comprendre que cela pouvait être frustrant pour elle. Ce à quoi je ne m’attendis pas toutefois, ce fut son commentaire qui me fit le plus réagir. Je pouffai de rire, et ce fut toujours avec un air amusé que je retournai au salon pour aller la retrouver. En déposant un plat de croustilles sur la table basse, je ne pus m’empêcher de lui dire:  « Tu sais, il suffisait de le demander. » Là, c’était mon tour de la taquiner. Pas parce que ce que je disais était faux. En effet, si Amelia avait eu besoin de moi - ou de moi dans le métier que je faisais - pour un reportage ou autre, je l’aiderais avec plaisir. Mais je savais aussi qu’elle était parfaitement en droit de percer dans son métier de façon indépendante, et jamais je ne pourrais l’en empêcher non plus. Je serais toujours là pour encourager ma soeur, peu importe les circonstances. Après une petite pause, je finis par lui demander:  « Et c’est quoi, cette interview bidon ? » Oui, je me montrais curieux et je l’assumais parfaitement, et si elle ne voulait pas ou ne pouvait pas m’en parler, je n’allais pas en faire tout un cas. Attendant, je pris une croustille, la mangeant tout en patientant, prêt à écouter sa réponse.

La blague passée, j’écoutai Amelia me parler de ce qu’elle devait faire comme interview. J’acquiesçai pour lui faire signe que je connaissais la chaîne, mais je n’ajoutai rien, parce que pour tout dire, je n’y connaissais pas grand-chose. En fait, je n’y allais pas vraiment et cela ne m’intéressait pas. J’étais toutefois parfaitement conscient que pour certains de mes coéquipiers, c’était passage obligé, que ça faisait presque partie de leur rituel d’avant-match. De mon côté, j’avais d’autres priorités, d’autres envies. Passant outre mon histoire personnelle qui n’avait pas sa pertinence dans le cas présent, je laissai ma soeur poursuivre dans ses propos. Je fronçai les sourcils quand elle me parla d’un individu discret, mystérieux. Je n’étais pas un expert, mais en mon sens, il me semblait que si elle avait décroché une interview, c’était une belle opportunité, non ? Je me demandai si je lui posais la question puis finalement, je me ravisai, la laissant aller au bout de son idée. Je compris qu’en fait, lui demander une telle chose ne l’aurait pas aidée; cette réalité la laissait dans un flou total, et je le voyais bien qu’elle était déçue. Au final, tout ce que je lui répondis, ce fut:  « Je me doute bien… », partageant quelque peu sa déception. Ç’aurait peut-être pu être une belle opportunité pour relancer la blague, mais je ne le fis pas. Je voyais bien qu’elle était vulnérable, et je savais qu’elle ne l’était presque jamais. Je ne prétendais pas tout savoir de ma soeur, j’en savais beaucoup, mais elle était encore capable de me surprendre, mais je me dis que là, le mieux que je pouvais faire, c’était tenter de la rassurer. Je repris donc en ajoutant:  « Mais je te connais, Ames. Tu vas leur en mettre plein la vue qu’après, ils n’auront pas d’autre choix que de te donner les meilleurs sujets possible. » Je finis mon propos avec un petit sourire, sachant que ça ne voulait peut-être pas dire grand-chose, mais c’était surtout pour lui montrer que je croyais en elle. Depuis le jour où elle avait fait cette interview un peu bidon avec moi pour le journal de l’école quand nous étions encore des adolescents, je le savais qu’elle pourrait accomplir de grandes choses. Et si c’était un défi supplémentaire pour qu’elle y parvienne, je savais qu’elle saurait le surmonter, et je serais là pour l’appuyer.

J’avais tenté de rassurer et encourager ma soeur malgré sa déception professionnelle. Je ne savais pas si j’avais réussi, pour tout dire, mais je ne m’en faisais pas avec ça. Amelia était têtue, pas mal plus que moi parfois. Je me doutais bien qu’elle attendrait d’avoir des résultats. Mais au moins, je la vis sourire, et elle ne s’opposa pas à mes propos, ce qui était quand même un bon progrès. Cependant, elle changea le sujet rapidement, me demandant ce qui se passait dans ma vie. Je soupirai doucement, ayant le sentiment que parfois, je lui racontais tout et qu’en ce moment, il ne se passait pas grand chose d’intéressant dans mon quotidien. La saison était terminée, j’avais à peine joué dans les dernières semaines avant que tout se termine en raison de ma blessure… C’était bizarre de limite avoir du temps libre comme ça, à chaque été, mais je finissais par m’y faire. Mais là, c’était comme si je cherchais quelque chose à lui raconter. Puis, je me rappelai d’un truc. Duquel je ne lui avais pas parlé, faute d’avoir fait du sens dans tout ça. Enfin, je n’en avais toujours pas fait, mais c’était ma soeur. Je pouvais prendre le temps de lui en parler. Après cette courte réflexion, je dis donc:  « Tu te souviens de… Sierra ? » J’y étais allé pour le prénom dans un premier temps, mais j’attendis, afin de voir si j’allais avoir besoin d’apporter quelconque précision. Ensuite, j’ajoutai:  « Je l’ai recroisée il n’y a pas longtemps, à un match. » Parmi la dizaine de milliers de personnes qui étaient là, oui, il avait fallu que je tombe sur elle. C’était spécial, quand même. Je décidai de m’arrêter là pour le moment dans mes explications, attendant de voir la réaction de mon aînée avant de poursuivre.

J’aurais dû me douter que ma question à savoir si ma soeur se souvenait de Sierra était purement rhétorique et servait surtout à lui rafraîchir la mémoire avant de lui parler de ce qui s’était passé. Et bien sûr, je me doutais qu’elle allait vouloir des détails bien rapidement, d’où le fait que je ne chômai pas pour lui en donner un peu plus. De toute façon, avec la posture qu’elle avait prise lorsque j’avais mentionné le nom de mon ex petite-amie, c’était inévitable que je fasse une chose pareille. Je n’avais pas dit grand-chose, j’en étais conscient, mais pour tout dire, je cherchais un peu comment expliquer le tout, comment je me sentais par rapport à cela, parce que pour être totalement honnête, je ne savais pas encore quoi en penser, à quoi cela pourrait mener, cette rencontre complètement au hasard. Pour première réponse, je dis :  « Bah au début elle m’a vu sur l’écran géant, puis elle a dit que j’étais un idiot. » Mon ton était à la fois humoristique, à la fois un peu nerveux. En effet, le fait que j’avais répliqué avait peut-être mis un certain malaise. J’en étais conscient au moment des faits, mais ça devenait encore plus réel maintenant que je le racontais de nouveau. Après une petite pause, je finis par ajouter:  « Et après elle est venue me rejoindre et on a discuté rapidement. » Et voilà. En fait, il n’y en avait pas tant à raconter outre ça, pour tout dire. Haussant les épaules, je conclus en affirmant:  « Je lui ai redonné mon numéro, mais c’est tout. La discussion s’est finie en bons termes, mais j’ignore ce qu’elle va en faire après. » Et puis, ça lui appartenait. De mon côté, je ne pouvais pas prendre de décision à sa place. Au fond, j’espérais qu’elle allait finir par m’envoyer un message et qu’on pourrait se revoir, mais je ne me faisais pas de fausses idées non plus.